Un énigmatique et faux « reportage ». Réponse (non-publiée) à Pierre Daum « Sans valise ni cercueil, les Pieds Noirs restés en Algérie »

Point de vue de Jean-Pierre Lledo

sur le « reportage » de Pierre Daum

paru dans le Monde diplomatique de Mai 2008

« Sans valise ni cercueil, les Pieds Noirs restés en Algérie »

Chercher les raisons du départ des PN, chez les PN qui sont…… restés, apparait d’emblée comme une curieuse démarche ! Comme il nous dit qu’il n’en resterait que 300, et qu’on suppose qu’il n’a pu tous les consulter, c’est à partir d’une dizaine ou d’une vingtaine de témoignages que P.D s’autorise à un diagnostic définitif, sans nuance. Il est vrai qu’il se met sous l’autorité de 2 historiens, qualifiés l’un  comme « un des meilleurs historiens de l’Algérie », B. Stora, et l’autre comme  « un des historiens algériens les plus reconnus de cette période »… mais qui a demandé à ne pas se faire….. connaitre.

P.D s’est-il aperçu qu’exclure des historiens qui même s’ils ne sont pas des « professeurs d’université », même s’ils ne sont pas aussi « reconnus » ou « meilleurs », n’en ont pas moins étudié le sujet, rendait suspect son « reportage » ?

S’est-il seulement aperçu qu’il se portait lui-même le coup de grâce, en ne désignant que par ses initiales un historien « reconnu » ? Si « un des historiens les plus reconnus », ne peut se faire connaître afin d’assumer publiquement une appréciation qui pourtant ne bouscule en rien l’histoire officielle, bien qu’appartenant à la majorité d’origine arabo-musulmane, quoi en déduire pour les simples citoyens d’origine non-musulmane, dits « européens », 300 nous dit-il, qui vivent au sein d’une population de plus de 30 millions de musulmans, dans un pays où la Constitution, le Président de la République, et la Nationalité ont une assise religieuse ?

1 – Thèse et Argumentation  de P.D

Il s’appuie sur les propos de B. Stora : « Depuis qu’ils sont rentrés en France (sic !), les rapatriés (resic) ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu’ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu’ils avaient tous été obligés de partir. Or cela ne correspond que très partiellement à la réalité. »

L’historien n’en est pas moins catégorique : l’OAS a « commis des exactions » contre les Algériens musulmans et poursuit-il « les Européens, dont un grand nombre de PN ont plébiscité l’OAS, ont eu très peur des représailles…  Une peur d’autant plus ravageuse qu’ « une grande majorité d’Algériens n’a pas manifesté d’esprit de vengeance mais un grand étonnement au moment du départ des Européens »…

Mais la peur, même si elle est irrationnelle, peut du moins avoir eu quelques fondements objectifs. Aussi, P.D s’empresse-t-il de parer à l’objection : le départ des PN, n’est pas imputable à une fin de guerre, ni même à un après-guerre difficiles. Cette fois, c’est l’historien algérien, celui qui a demandé l’anonymat, qui nous l’assure : « il ne s’est plus tiré un seul coup de feu après le mois d’Août 62 ! »

Alors diantre, s’il est difficile d’imaginer 800 000 personnes cédant à un délire collectif de persécution, abandonnant tout en quelques mois, semaines, jours, heures des fois, de quoi s’est-il agi ? Le diagnostic pouvant paraître délicat, voir même quelque peu délictueux, P.D s’est une nouvelle fois courageusement placé sous le contrôle d’une autre autorité scientifique, la « chercheuse » Hélène Branco cette fois.

« Ces gens, dit-elle, avaient l’habitude de commander et de mépriser ». Tel une sorte d’Organisme Génétiquement Modifié par le racisme, l’homoPied-Noirus était donc, insiste-t-elle, « incapable de toute réversion mentale » !!!

Que Branco et Daum fraient avec des visions que je n’ose même pas qualifier, n’est en fait que l’affaire du Monde Diplo. Mais que la Ligue des Droits de l’Homme fournisse aujourd’hui une tribune à une telle idéologie, voilà qui en devient inquiétant.

Assuré d’une caution scientifique, on l’a vu exemplaire, P.D va pouvoir à présent appeler à la barre les témoins, mais jamais pour s’enquérir auprès d’eux si l’insécurité aurait eu quelque fondement objectif. Cette question, somme toute mineure, il préfère la botter tout simplement dans la touche de 2 encadrés.

2 – Deux encadrés « informatifs ».

Là sont relégués les chiffres, comme s’ils n’avaient rien à voir avec les raisons du départ.

« Trois événements traumatisants » est le 1er encadré.

Sont appelés ainsi :

  • la manifestation à Alger du 26 Mars 62 où périssent plus d’une soixantaine de civils Européens désarmés, de sexes et âges divers (et non « 46 »). Mais après avoir dit qu’un coup de feu est tiré les soldats, insinuant que ce qui suit n’est que légitime défense, P.D s’empresse de préciser que c’est l’armée française qui tire. « Soulignons, dit-il, que les Algériens n’y furent pour rien, et que les manifestants étaient tous sympathisants OAS ».

Pourquoi ce « soulignons » ? ! Sinon pour justifier ou amoindrir le fait qu’on ait tiré sur des civils et des enfants ? Selon cette logique, faudrait-il donc aussi accepter que l’armée française ait tiré sur d’autres manifestants de Déc 60, des femmes et des enfants également, dans différentes villes d’Algérie, sous prétexte qu’ils seraient des sympathisants FLN ? Drôle de logique pour un invité de la LDH !

  • Les massacres de non-musulmans à Oran le 5 juillet 62, qui ont fait au moins 300 morts en quelques heures, est, pour P.D, le second événement traumatisant. D’ailleurs comme précédemment, négligeant la seule enquête réalisée sur cet événement par un historien, Jean Monneret, P.D fait tout pour minimiser un événement sous le choc duquel sont toujours les Oranais. « Un coup de feu, récidive-t-il, est tiré sur la foule qui fête l’indépendance. Pendant 5h, une chasse à l’Européen est organisée par des éléments incontrôlés de l’ALN. ». Comment P.D sait-il que ce sont des « éléments incontrôlés de l’ALN » ?! Et si c’était le cas, comment auraient-ils pu « s’organiser » comme il l’écrit ? Une organisation n’induit-elle pas une tête, des ordonnateurs, des relais, et des exécutants ? Un événement qui se produit simultanément dans plusieurs endroits, peut-il être anarchique, « incontrôlé » ?

Voir récit du lieutenant de l’armée française Khelif qui négocie la libération d’Européens devant la Préfecture et avec le nouveau Préfet.(page 274, livre Monneret « La phase finale de la guerre d’Algérie »).

Enfin la moindre des malhonnêtetés du journaliste n’est-elle pas, lorsque pour minimiser la portée de cet événement, il rapporte le nombre de victimes à celui de la population totale d’Oran (400 000 ha)! Alors que s’agissant d’une chasse au faciès, elle ne concernait que la population qui restait encore à Oran, soit tout au plus 50 000 Européens, et quelques musulmans qui avaient le « look espagnol », comme dirait Tchi Tchi, mon personnage…

  • Enfin 3ème et dernier « événement traumatisant » : les Européens sont victimes d’enlèvements. 3700, durant le printemps 62, et sur l’ensemble du territoire, nous dit P.D. Quand, selon un témoignage au débat avec Harbi autour de mon film, un spectateur tint a témoigner que, Relizane, sa ville, se vida de ses habitants européens, après l’enlèvement de 6 personnes durant le mois de Mai, on peut imaginer l’effet que put avoir l’enlèvement de 3700 personnes sur l’ensemble du territoire algérien ! Car l’exode concerna bien toute l’Algérie, et non pas les seules villes où se manifesta l’OAS ! D’ailleurs  quand il affirme que ces enlèvements «plus ou moins ciblés » n’étaient qu’une « réponse aux assassinats aveugles perpétrés par l’OAS », P.D ne remarque même pas qu’il se contredit, puisqu’une ligne après, il signale que « de 1954 à 1961, (il y en eut) quelques centaines », c.a.d à une époque où l’OAS n’existe pas.

Les violences dont la population non-musulmane fut la cible se résumeraient-ils à ces seuls « 3 événements traumatisants »  de fin de guerre ? P.D ne va pas jusque-là. On ne le prendra pas si facilement en défaut de déontologie. Le terrorisme contre les civils non-musulmans commis depuis le 1er Nov 54, et les massacres d’Août 55 ? Il en parle…… dans une note de 3 petites lignes, écrite en caractères minuscules, au bas d’un « reportage » qui occupe 2 pages centrales de l’Hebdo !

Et alors que compte tenu du parti pris annoncé d’emblée – démentir l’explication de l’exode par l’insécurité – on se serait attendu à ce que la question du terrorisme contre les civils soit examinée avec soin, P.D se débarrasse de l’objection essentielle en 3 petites lignes d’une note de fin de page !!!

Et pourquoi pas l’inverse ? Des chiffres dans le corps du texte et tout le reste en encadré ou en petites notes ?

Car les chiffres sont plus qu’éloquents.

S’il existait un Prix de la CUISTRERIE, douterait-on du lauréat ? Et ce n’est encore là qu’un aperçu.

« Combien sont-ils ? » est le 2ème   encadré.

Après avoir lu en exergue, et en très grosses lettres, que : « 200 000 PN avaient décidé de demeurer dans le nouvel Etat », le lecteur doit là aussi sortir du corps du reportage, pour apprendre dans cet encadré, qu’aujourd’hui, il n’en resterait plus que………… 300 !

Pour quelles raisons sont quand même partis « 200 000 personnes qui avaient décidé de rester », qui n’avaient pas « plébiscité l’OAS», et qui de surcroît faisant montre d’une étonnante psycho-flexibilité, avaient même réussi leur « réversion mentale » ? La spécialité du journaliste primé,  étant apparemment d’esquiver les objections majeures, on ne le saura jamais. Ou presque. Car l’objection de l’insécurité est à nouveau pulvérisée. Même les intégristes islamistes, durant « la décennie noire », n’ont pas touché un seul cheveu des P.N. « Aucun Européen n’a été tué », a-t-il le front d’affirmer !

Pourquoi ce nouveau mensonge, alors que tout Alger a pleuré celui qui fut un de ses meilleurs libraires, Vincent, chrétien d’origine espagnole, parlant parfaitement arabe, assassiné en plein centre ville, Rue Didouche Mourad, ex-Michelet ? Puis quelques jours après, dans la même rue, quasiment en face, l’oculiste juif tunisien d’en face, Ray Louzoum, qui a joué dans presque tous les films algériens, et à qui on ne voulut jamais accorder la nationalité algérienne, alors qu’il avait opté pour l’Algérie juste après l’indépendance ! Puis quelques mois après, le Juif algérien de la grande famille des BelaIch d’El Biar, assassiné au Square Port Saïd, ex Bresson… Puis la Pied-Noire qui travaillait au Consulat français d’Alger pour payer des soins à son enfant. Tous assassinés à Alger.

Comment, Père Denis Gonzales, lui aurait caché l’assassinat à Oran de l’Evêque pied-noir Pierre Claverie, victime d’une bombe qui explose chez lui dès son retour de voyage ?

Ceci seulement, pour les gens connus… Car, il y eut aussi des anonymes assassinés sans publicité, comme je viens de l’apprendre récemment par quelqu’un qui fut son élève et que l’article de P.D a révolté : Lucien Marelle professeur de mathématiques à l’Ecole Normale d’Oran, assassiné en 1995 à plus de 80 ans, dans sa maison, à Aïn El Turk près d’Oran.

Avec un tel mensonge, P.D qu’a-t-il cherché ? Sinon à invalider une nouvelle fois l’argument d’insécurité pour les P-N, aujourd’hui comme hier durant cette nouvelle et terrible guerre qui a déjà fait plus de 200 000 morts (selon le Président Bouteflika).

Quoi qu’il en soit, si sur des événements encore proches, ce « journaliste » s’autorise de tels écarts avec la vérité, on peut imaginer ce qu’il croit pouvoir se permettre pour des périodes plus éloignées… ?

3 – Les Témoins.

Familiarisés avec les pratiques déontologiques du journaliste, peut-on imaginer que les témoins soient autre chose qu’un tremplin vers la fameuse thèse de P.D – Stora – Branco : Tout allait très bien. Juste un homopiednoirus psycho-rigide, raciste, atavique comme il respire… ?

Invités à se confier sans le filet des initiales, quelle autre alternative avaient-ils d’ailleurs : abonder dans le sens souhaité ou se taire ?

Familier du contexte historique, des lieux évoqués, et même d’une partie des témoins, je n’ai il est vrai pas eu à faire beaucoup d’efforts pour exercer mon sens critique.

Premiers témoins à la barre : le couple Serra.

Il confirme la 1ère partie de la thèse. La pagaille, c’est l’OAS : « La valise ou le cercueil, c’est pas vrai !». Que ce slogan fût celui non de l’OAS, mais du 1er parti nationaliste algérien, le PPA, dès les années 40, ni Serra, ni P.D ne doivent le savoir. Et les conseillers en histoire n’ont pas informé ce dernier.

Le second témoin, Vialin plante le décor : « On s’imagine mal à quel point le racisme régnait en Algérie… Les Européens habitaient en dur, et les Musulmans pataugeaient danss les gourbis. » Bref, « ce n’était pas l’Afrique du Sud mais presque». P.D aurait-il déjà oublié que dans les mêmes années, à deux pas de l’Arc de Triomphe, c’était pareil… pour les Musulmans du bidonville de Nanterre ?

Et comment surtout explique-t-il que dans le pays de l’apartheïd absolu, les racistes aient été capables de « réversion mentale », alors que là où c’était « presque », ils ne le furent pas ? Pour être logique avec lui-même, P.D n’aurait-il pas dû écrire que l’Algérie c’était encore « pire » que l’apartheïd  et non pas « presque »!

Pire apartheïd donc oblige, n’importe quel PN peut se trimballer son p’tit colt et quand ça lui chante, abattre son sale Arabe. « L’image (du meurtre) s’est gravée dans les yeux du jeune garçon » nous dit P.D. « Dans les yeux » ou « dans la mémoire…collective » ? Car Vialin ne donnant de la scène aucun détail qui puisse nous convaincre qu’il en a bien été un témoin oculaire, comment ne pas penser au fameux verre d’eau qu’un colon aurait refusé à un soldat, fait divers sans doute vrai une fois, mais que beaucoup de soldats ont par la suite repris à leur compte…

Qu’importe, l’essentiel, c’est que ceux qui, comme ses parents, « désiraient la vraie égalité » sont restés en Algérie. Et que « finalement il se sente algérien, avant tout ». P.D ne nous dira naturellement pas pourquoi les 199 700 PN qui depuis sont aussi partis, n’ont pu « finalement » se sentir algérien… A moins qu’eux aussi n’aient été rattrapés « finalement » par le racisme congénital de l’homopiednoirus…     

Le 3ème, André Bouahana, lui, « a grandi en Ville Nouvelle » un quartier musulman d’Oran, et parlait l’arabe. Ce témoin aurait-il pris P.D en défaut ? Non, rappelez-vous, « ce n’était pas l’apartheïd, mais presque »… Cet enfant du peuple – oui ça existe et P.D a dû quand même être drôlement secoué d’en rencontrer – marque sa différence de classe et il a raison : « Ce n’est pas comme ces Européens qui habitaient le centre-ville…. Donc a l’indépendance, pourquoi j’aurais eu peur ? ». P.D, ne nous dit pas si tous ceux qui sont partis habitaient « le centre ville »… Il ne nous dit pas non plus si ce témoin est resté en Ville Nouvelle jusqu’à la fin. Ce qui serait étonnant. Car les Européens même favorables à l’indépendance durent quitter les quartiers à dominante musulmane, sur l’incitation même de leurs amis. Il faut savoir par ex, que les voitures piégées qui explosent dans ce quartier, en Février 62 je crois, si elles ont bien été revendiquées par l’OAS, n’ont pu y être acheminées que par des Arabes, ce quartier étant interdit à tout Européen. Pour échapper à un « tueur isolé » ou au lynchage assuré, comment Bouhana aurait-il pu se déplacer autrement qu’encadré dans le moindre des déplacements par une escouade de musulmans armés ? Ignorant sans doute que Ville Nouvelle fut le QG de l’Etat major FLN-ALN, après les Accords d’Evian, ce genre de question ne vient même pas à l’esprit de P.D. Par contre, n’ignorant pas la réalité des massacres d’Européens, le 5 Juillet 62, pourquoi, se trouvant en face d’un témoin privilégié, le journaliste a-t-il refoulé sa curiosité ? A moins que, l’ayant au contraire satisfaite, il n’ait estimé qu’elle illustrait mal sa thèse de départ…

Car, pour vous donner un exemple entre dix de ce qui se passa dans ce quartier, voici les propos qu’un ami m’a fait il y a quelques mois. Compte tenu de ses fonctions, je ne peux en donner le nom, même pas les initiales, ce que P.D, comprendra aisément. Son récit autobiographique, celui d’un jeune qui grandit en Ville Nouvelle, venant d’être publié en Algérie, et s’achevant précisément le Jour de l’Indépendance, fait silence sur les massacres du 5 Juillet 62. Comme je lui en demande la raison, il m’avoue n’avoir pu parler des 2 terribles scènes de lynchage dont il fut le témoin ce jour-là. Puis après un silence, il me raconte un autre fait, plus facile à dire, mais me prévient-il, révoltant… 

Ce jour-là donc, le 5 Juillet 62, en Ville Nouvelle, il se trouve sur une terrasse où des jeunes démontent, nettoient, huilent et remontent des armes. Un jeune arrive et prend une arme de poing. On lui dit qu’elle est rouillée. Il la démonte, l’huile, le remonte et sort. Notre témoin, de la terrasse, le voit alors se diriger vers un Européen et le tuer à bout portant. Quelques minutes après, il revient et peut fièrement déclarer : « Voilà, vous avez vu, elle n’était pas rouillée. ».

Félix Collosi.

Il se trouve que je le connais. Et si Daum a fait avec les autres ce qu’il fait avec lui, on aura idée de sa pratique du journalisme ! Dans un petit paragraphe de 5 lignes, il y n’y a pas moins qu’ 1 mensonge et 2 silences.

F.C n’a jamais été dans les maquis mais dans les groupes armés communistes de la ville d’Alger, avec Iveton. Dans les maquis du FLN, de nombreux communistes furent assassinés, dont Georges Raffini, rédacteur à Alger Républicain qui se battit en Espagne contre Franco, aux côtés des Républicains.

F.C, a bien été en prison, mais même dans ce lieu propice à la fraternité, certains nationalistes prenaient plaisir, au moment des prières et notamment durant la période du ramadhan, à lui faire sentir ses handicaps d’Européen d’origine catholique et pire, non-croyant…

F.C a bien été ingénieur d’Etat dans les entreprises « nationales », mais à son retour d’études faites à l’étranger, et en représailles à son opposition au coup d’Etat de 1965, au sein de l’UNEA, on lui retira la nationalité algérienne. Et depuis, malgré ses multiples demandes, elle ne lui a jamais été restituée.

F.C. s’est-il auto-censuré ?  Ou est-ce Daum qui l’a censuré ?

Père Denis Gonzales.

Daum l’ayant crédité d’une « toujours très vive intelligence », on s’étonne qu’il ne lui ait accordé que 4 lignes, exactement 4 lignes ! Et qu’il ait manqué l’occasion de l’interroger sur une actualité qui fait la Une des journaux algériens et français la situation des Chrétiens en Algérie : du meurtre de Père Jacquier poignardé en plein jour dans une rue centrale d’Alger en 1976, aux 19 Mères et Pères chrétiens assassinés par le GIA, jusqu’au harcèlement que subissent aujourd’hui les Chrétiens, essentiellement d’origine berbéro-arabe. Le dernier en date étant cette jeune femme de Tiaret, Habiba K. contre laquelle le procureur vient de requérir la peine de trois ans de prison ferme pour avoir pratiqué « sans autorisation … un culte non musulman » !

Que le Père D.G ne puisse en parler publiquement, qui ne le comprendrait ? Par contre, et alors même que pour la 1ère fois  des centaines d’intellectuels algériens ont dénoncé par pétition cet état de fait, le silence du journaliste est plus que coupable. Scandaleux !

Il est vrai, qu’en parler aurait mis à mal la thèse de son article…  Et quand ne pouvant certes passer sous silence l’assassinat des 7 moines de Tibhérine (toujours en bas de page, dans une note en caractères minuscules comme vous l’avez déjà deviné), P.D. s’empresse aussitôt de préciser qu’il n’y eut aucun PN assassiné, que veut-il prouver ? Que les chrétiens PN, auraient eux bénéficié d’un traitement de faveur ? ! P.D est-il à ce point mal informé, ou plutôt a-t-il eu pour mission de désinformer ?

Prosper Chetrit.

Avec lui, au moins, on sait que la situation par rapport aux Juifs, s’est détériorée à Oran moins de 10 ans après l’indépendance, lorsqu’on a transformé la synagogue en mosquée.

Mais pourquoi P.D s’est-il arrêté en plein élan en se gardant de fouiller cette piste de la « détérioration » à l’endroit des Juifs ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la disparition de toutes les synagogues d’Algérie (celle de Constantine ayant été elle complètement rasée, et transformée en … parking) ?

Pourtant, pour parler des Juifs, P.D. n’avait que l’embarras du choix : 2 mois avant la sortie de son papier, en Février 2008, dans un quotidien arabophone Ech Chourouq, la Ministre de la Culture n’annonçait-elle pas une collaboration avec l’Espagne pour … déjudaïser la musique andalouse… ?

Justement, pourquoi n’a-t-il pas cru utile de rappeler, même avec une note en bas de page, que l’assassinat en Juin 61 du chanteur constantinois Raymond Leyris précipita le départ de milliers de Juifs de toutes les autres villes d’Algérie ? Et si notre « meilleur historien », constantinois de surcroit, mais très discret sur l’exode de sa famille, ne pouvait lui dire que le FLN signa cet attentat, pourquoi n’a-t-il pas cité tout simplement cet avocat algérois connu, à qui en Oct 2005 le Quotidien d’Oran offrit 2 pages entières pour justifier cet assassinat, sans recevoir, depuis, le moindre démenti du FLN historique ou du FLN actuel ?

Si P.D s’intéresse tellement aux P-N et aux Juifs engagés dans la lutte pour l’indépendance, pourquoi n’a-t-il pas évoqué ce que l’on fit de la mémoire de Ghenassia, ce communiste juif, infirmier dans l’ALN, sous les ordres du Cdt Azzedine, qui préféra mourir plutôt qu’abandonner ses blessés ? S’il l’avait voulu, P.D. n’aurait-il pu facilement apprendre que la « Rue Ghenassia », ainsi baptisée à Ténès, fut, quelques années seulement après l’indépendance, débaptisée en… « Rue de la Palestine » ? ! !

Ou encore pourquoi, juste à ce moment, ne s’est-il pas plongé dans le dernier tome des œuvres incomplètes de son historien de référence, à la page 139 : « Juifs d’Algérie, les trois exils » : « Dans les premiers mois de l’année 56, les agressions se multiplient, le samedi de préférence : contre le rabbin de Batna, en mai 56 ; contre les cafés juifs de Constantine, et en Juin 56, contre la synagogue d’Orléansville qui est incendiée. En Novembre de la même année, une bombe placée dans la maison d’Isaac Aziza, rabbin de Nédroma, le tue ainsi que plusieurs membres de sa famille. ».

Ceci pour ne citer que les premiers mois de l’année 56 !

Mais on l’aura compris, le journaliste veille à être en phase avec sa démonstration plutôt qu’avec la réalité, avec les déclarations d’intention plutôt qu’avec leur mise en pratique.

« La plupart des PN de France semblent avoir complètement oublié que durant la guerre, la direction du FLN a pris soin, à plusieurs reprises, de s’adresser afin de les rassurer », écrit-il. Et de citer preuve à l’appui l’Appel du GPRA du 17 Fev 1960 « Aux Européens d’Algérie » :

« L’Algérie est le patrimoine de tous… Si les patriotes algériens se refusent à être des hommes de seconde catégorie, s’ils se refusent a reconnaître en vous des supercitoyens, par contre ils sont prêts à vous considérer comme d’authentiques Algériens. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. ».

Qui aurait résisté à une telle prose ? Et on comprend que son témoin suivant, JP Grangaud, à l’époque, ait bu ces mots comme du petit lait, « avec délectation » comme il le dit.

Mais si ce témoin l’ignore, pourquoi P.D. n’a-t-il pas cité cette archive, que l’historien algérien Mohamed Harbi, bizarrement absent de son article, a révélé depuis plus de 20 ans, et où l’un des grands chefs du FLN-GPRA, Ben Tobbal harcelé par des militants furieux contre ce texte, les rassure à 3 reprises en leur répétant : « c’est purement tactique !».  Ajoutant même la 3ème fois pour les radoucir : « Il n’est pas question qu’après l’indépendance, il y ait des Juifs et des Européens, dans le gouvernement ».  Ces propos n’ont pas été des propos isolés. Ils ont été confirmés longtemps après l’indépendance :

« Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé. », Réda Malek (négociateur des « Accords d’Evian » – Le Seuil, 1990)

« En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale », Ben Khedda, qui fut Président du GPRA (« La fin de la guerre d’Algérie », Casbah Ed. 1998)

Et effectivement le FLN qui dirigea le pays comme parti unique jusqu’en 1989, tint parole : il n’y eut jamais aucun non-musulman au gouvernement. Les éminents Professeurs de Médecine Jean-Paul Grangaud ou Pierre Chaulet ne furent jamais ministres. Pourtant ce dernier, collaborateur du Service information du GPRA à Tunis, fut membre de la direction du FLN pendant près de 30 ans.

JP Grangaud est certes depuis quelques années « conseiller du ministre ». Mais P.D se garde bien de dire que cette nomination est advenue pour l’extraire de l’hopital d’Aïn Taya où les intégristes le menaçaient de mort. Sans doute, parce que ça contredit sa thèse que les PN auraient été épargnés par le terrorisme islamiste.

Comment d’ailleurs, P.D, après avoir cité l’Appel du GPRA : « L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. », peut-il qualifier de simple « déception », un Code de la Nationalité adopté en 1963 qui en est la négation totale, puisque pour être « Algérien » automatiquement, il faut être musulman ? !!!

Comment, loin de s’en offusquer, cherche-t-il encore à en minimiser la conséquence (« c’était après le grand départ des P-N ») ? !!! Ce Code ne fut-il pas à l’origine du départ de la quasi-totalité des P-N qui s’étant engagés dans la lutte pour l’indépendance et avaient passé de nombreuses années en prison, en subirent violemment l’humiliation quand ce ne fut pas la double humiliation de se la voir refuser après l’avoir demandé ? ! Du départ aussi de ces milliers de petits entrepeneurs ou petits exploitants de moins de 10 ha, qui devenaient donc subitement des « étrangers », et dont on pouvait donc s’emparer des biens, dits par la loi « biens vacants », et ce faut-il le préciser en violation des Accords d’Evian signés 7 mois plus tôt ? Ne fut-il pas surtout un message clair aux centaines de milliers d’Européens partis dans la panique : « ne revenez pas ! » ?

Il va de soi, pareilles vétilles ne sauraient dévier P.D de la course vers sa découverte épistémologique décisive, rappelons-le : le racisme congénital de l’homopiednoirus. Mais avant d’en arriver là, il lui faut encore écarter la dernière objection possible : l’insécurité post-indépendance. Ce dont il s’acquitte grâce notamment à « l’un des historiens les plus reconnus », celui qui derrière le masque de ses initiales affirme : « Dès Aout 1962, plus un seul coup de feu n’a été tiré en Algérie ».

Quand l’on sait que c’est précisément durant ce mois d’Août que l’armée dite des frontières fit sa première grosse bataille… en écrasant les maquisards de la willaya 4, au prix d’un millier de morts au moins, dit-on, j’aimerais croire que P.D a tout simplement mal compris ou mal retranscrit. Car « des coups de feu », il y en eut encore, quelques mois plus tard avec le maquis kabyle d’Aït Ahmed, réduit de la même manière. Ce dernier épisode concerna au moins un Juif : Hadjadj, le boulanger d’Azzefoun. Devenu Maire après l’indépendance, après avoir ravitaillé en pain l’ALN, durant toute la guerre, il continua à faire pareil avec les résistants du FFS d’Aït Ahmed. Ce qui lui valut la prison. Libéré, il quitta l’Algérie. Comme son frère communiste, Georges, qui en 1957, dans les mains des paras, fut le compagnon d’infortune de Maurice Audin.

Les propos de Mme Grangaud, sont par contre plus réalistes « Nous n’avons jamais senti le moindre esprit de revanche alors que presque chaque famille avait été touchée… ». La propagande nationaliste a en effet tellement identifié la population non-musulmane, appelée jusqu’à aujourd’hui « population coloniale », au système colonial lui-même avec ses forces de répression, que l’on peut comprendre son étonnement. Or, le fait est là, hier comme aujourd’hui, la grande majorité de la population n’a pas suivi cette propagande et tous les PN qui reviennent en Algérie, de plus en plus nombreux, sont magnifiquement accueillis.

Vétille encore, P.D, pressé de nous épater, mijote son meilleur coup pour la fin qui approche… Sauf que comme dans les mauvais policiers, le lecteur a tout compris depuis le début.

4 – Suspense

La devinette de P.D est donc la suivante. Suivez bien.

Si les P.N et les Juifs, n’ont été sérieusement menacés ni avant l’indépendance ni après, ni pour leurs biens, ni pour leurs personnes. Si donc, les 800 000 personnes qui sont parties n’ont fait que céder à une grosse peur, de quelle nature était cette peur ?

Il n’y a plus que 2 concurrents-témoins en lice.

Mme Grangaud, qui évoque « le sentiment de supériorité » de son propre milieu familial, dont elle a eu, nous dit-elle, du mal à se défaire ?

Et la chercheuse Hélène Bracco, qui en récoltant une soixantaine de témoignages de P-N demeurés, est arrivée à diagnostiquer pour l’ensemble des 800 000 partis un symptôme de psycho-rigidité irréversible et ce tient à nous le préciser P.D, après « avoir entre 92 et 93, parcouru l’Algérie à la recherche de pieds-noirs… encore vivants ».

« Des témoignages de Pieds Noirs encore vivants », vous avez bien lu. Ce nouveau lapsus résume somme toute assez bien la philosophie du journaliste : un bon PN, est un PN mort, ou en passe de l’être. Ce qu’avec son dessin principal d’illustration – une vieille dame tout rabougrie – le dessinateur Aurel a parfaitement pigé. Les deux ont bien retenu la leçon du Maître : « Abattre un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé » écrivait en 1960, l’existentialiste Jean-Paul Sartre (préface aux « Damnés de la terre » de Frantz Fanon. 1960.)

Revenons à nos deux concurrentes. Qui remportera le gros lot ? Derniers tic-tac de l’horloge pied-noire…

Mme Grangaud est facilement disqualifiée. Car André Bouhana, l’enfant du peuple, qui « habitait avec les Musulmans, avait des copains arabes et parlait avec eux l’espagnol et l’arabe », nous a déjà expliqué qu’il était à l’opposé de ceux des beaux quartiers « du Centre-ville ». Et comme nous savons que l’écrasante majorité des P-N et des Juifs n’habitait pas les beaux quartiers, « le sentiment de supériorité d’une Fille de la bourgeoisie algéroise», ne peut pas être un argument solide. P.D et la logique…

La Palme d’Or revient donc à la « chercheuse ». Triomphe sans gloire, car le journaliste pour arriver à ses tristes fins utilise deux procédés assez méprisables.

Il écarte soigneusement tous ceux qui, chercheurs ou pas, professeur des universités ou pas, ont honnêtement fait leur travail. Et pour ne citer que deux d’entre eux, Jeannine Verdès-Leroux, « Les Français d’Algérie de 1830 à nos jours ». (Paris, Fayard, 2001), qui nous donne 17O entretiens de PN répartis sur tout le territoire français, et Jean-Jacques Viala « Pieds-Noirs en Algérie après l’Indépendance ». (Paris, L’harmattan, 2001) qui interroge une vingtaine d’agriculteurs, médecins et membres de quelques autres professions, qui avaient choisi de vivre dans l’Algérie indépendante et durent partir progressivement, sous la pression des lois foncières de 1963 (nationalisation), ou suite à des brimades aussi violentes que diverses.

Et d’autre part, dans un pays où un Ministre peut sans la moindre sanction, se permettre publiquement des propos anti-sémites, où les Chrétiens, même ceux qui appartiennent à la majorité ethnique berbéro-arabe, sont quotidiennement harcelés, le journaliste jette dans l’arène des témoins dont certains sont quasi mutiques.

Ces témoins d’origine juive et chrétienne, n’étant « même pas une minorité, à peine quelques particules », comme le dit le peintre algérien Martinez dans un de mes films, peuvent-ils dire ce qu’ils pensent, tout ce qu’ils pensent, et non pas seulement ce qu’ils peuvent dire ?

Lorsque l’on n’est qu’un « dhimmi », la parole publique peut-elle échapper au Syndrôme de Stockolm ?

De quelle validité même peut se prévaloir une enquête qui ne se pose même pas ce genre de questions ?

A contrario, ce qui ne peut être qualifié que de faux reportage comment n’appellerait-il pas une autre série de questions ?

Pourquoi subitement, Pierre Daum et le Monde Diplomatique s’intéressent-ils tant à l’exode des Pieds-Noirs ? Qu’est ce qui dans l’actualité aurait bien pu le provoquer ? Pourquoi subitement éprouvent-ils le besoin de voler au secours de l’Etat algérien en reprenant l’argumentaire d’une histoire officielle de façon si grossière que l’exercice ressemblerait presque, comme dirait l’autre, à une commande… diplomatique ?

Entre un film interdit en Algérie depuis le mois de Juin 2007 pour avoir laissé des Algériens d’origine berbéro-musulmane répondre précisément à la question du débat organisé ce 26 Mai à Paris * : « de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? », et ce faux reportage qui aurait pu commencer par la fameuse invitation à n’y voir aucun lien, l’étrange silence du journaliste à l’endroit d’un film qu’il réclama pourtant avec insistance en Novembre dernier, et visionna 3 mois avant la sortie française, ne répond-t-il pas en définitive à toutes ces questions, bien plus éloquemment ?

*La Ligue des droits de l’Homme,  la section de Paris des Amis du Monde diplomatique et l’association Coup de soleil  organisent  le lundi 26 mai 2008, à l’Hôtel de Ville de Paris, une conférence-débat  animée par Georges Morin, président de Coup de soleil, avec Pierre Daum, Jean-Pierre Lledo, Mohammed Harbi, Gilles Manceron et Benjamin Stora,sur le thème : « Algérie 1962 : de quoi les Pieds-noirs ont-ils eu peur ? »

Germaine Tillon

Et les chiffres

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