Sociologue marxiste, reconverti en France, à Aix-en- Provence, dans l’esthétique. Son texte est publié toujours dans le même journal Soir d’Algérie, qui cette fois censure ma réponse… !
…Ma voix n’a rien à voir avec la liturgie nationaliste. Je suis algérien et sais qu’il est parfois dur de l’être, en certaines circonstances, très dur. Je le suis et le reste. Et c’est inguérissable…
…Aucune allusion n’est faite à la destruction de la culture de ceux que Lledo appelle les musulmans… Qu’en a-t-elle fait sinon de les araser et de les pétrifier ?…
…Que savait la population coloniale de l’histoire, de la langue, des rites et des arts de ceux qui n’étaient même pas nommés Algériens ? Qu’en a-t-elle fait sinon de les araser et de les pétrifier ? A-t-elle répondu ne serait-ce que timidement et qu’au conditionnel à l’appel du 1er Novembre 1954 ?…
…La description faite par un autre témoin mimant son acte d’égorgement d’une femme européenne faisant frire ses sardines, est une scène terrifiante et absurde. Qui est cet homme, l’égorgeur, qui après son acte macabre se met à manger les sardines ?…
…Le réalisateur oublie que l’élucidation de tous ces phénomènes et des extrêmes violences qui les ont portés, n’est pas nichée dans la mémoire intime, mais dans la durée de l’histoire…
…la caméra de Lledo fait un travelling sur le mur situé derrière l’autel de la cathédrale d’Alger où un concert de musique sacré est donné. L’image roule et insiste sur les épitaphes de 17 religieux, écrites et peintes dans des niches. Ces sœurs et ces prêtres ont été assassinés par le GIA dans la décennie 1990. Que cache cette allusion d’évidence anachronique ? Aucune explication n’est donnée par le réalisateur pour prémunir le spectateur contre une confusion des genres et des temps. A moins de suggérer l’idée d’une filiation entre le 20 août 1955, les bombes d’Alger et les années 1990…
Censurée par Soir d’Algérie…
ma réponse à Médiène datée du 11 Mai 08 est introduite par le proverbe kabyle « Un dépotoir ne produit pas de figues »
Que la rédaction me permette aussi de regretter que mon contradicteur n’ait pas été présenté. Il est vrai qu’il nous dit d’emblée qu’il est Algérien. Il insiste même : « Je le suis et le reste. Et c’est inguérissable. ». Ignorant qu’être Algérien fût une maladie, on est cependant immédiatement rassuré : publiquement annoncée, du moins n’est-elle pas honteuse…
« Ma voix n’a rien à voir avec la liturgie nationaliste ». On peut donc imaginer ce que dans le cas contraire, il en aurait été !…
Population non-musulmane…. Mais qu’en sait-il lui, B.M, de cette majorité dite « coloniale » ? De quelle recherche peut-il se prévaloir pour en parler avec un tel aplomb ? Ces centaines de spectateurs pied-noirs et juifs que l’on peut entendre en allant sur le site de mon film, ces milliers de Juifs et de Pieds-noirs qui sont magnifiquement accueillis par leurs anciens voisins quand ils retournent dans leurs villes ou leurs villages, ces dizaines de milliers qui grâce à Internet retissent avidement les liens détruits, tous ces femmes et hommes, pourtant eux aussi atteint de la même maladie incurable quoique non honteuse, seraient donc la « majorité coloniale » ?
B.M en est donc toujours à identifier un système à un peuple ? Et le système colonial à l’ensemble, à la seule population non-musulmane ? Et à rendre ce million de Juifs et de Pieds-noirs, ces fils d’immigrés méditerranéens fuyant la misère de leurs pays, collectivement responsable des massacres commis par l’armée française durant la conquête, en 1945, ou durant la guerre ? ! Et à faire passer la ligne de démarcation des soutiens/oppositions à la colonisation, entre musulmans et non-musulmans, au total mépris de la réalité historique ? !
Et lorsque je parle de « Musulmans », pourquoi MB fait-il semblant de croire que je leur dénierais la qualité d’Algériens, alors que ce n’est qu’une manière de souligner que pour moi cette qualité s’étend aussi aux Juifs et Chrétiens nés en Algérie depuis au moins plusieurs générations ?
Le marxisme de B.M se serait-il rétréci à ce point qu’il ne lui permette plus de distinguer entre un système (colonial ou autre) et les gens qui vivent dans ce cadre, avec leurs diverses stratégies de résistance passives ou actives à l’ordre inégalitaire ? Avec son marxisme, la dialectique se serait-elle aussi évaporée ? Et si B.M a du mal avec le passé, ne peut-il du moins par analogie, se demander si le système autoritaire dans lequel nous vivons depuis 62, et qui fonctionne avec la dictature d’un groupe, d’une caste, nous aurait tous transformés en ses complices ?
Il est d’ailleurs symptomatique que B.M ne nous dise rien des Juifs dont la plupart ont habité notre pays bien avant les Musulmans : font-ils eux aussi partie de la « population coloniale » ? Comme je suppose que non (mais c’est peut-être ma dernière illusion à l’endroit de B.M), il aurait fallu qu’il nous explique pourquoi, comme les « Européens », ils ont été aussi visés par le même terrorisme, en tant que Juifs…
…D’ailleurs, lorsqu’en évoquant « la population coloniale », B.M se pose la question suivante : « A-t-elle répondu ne serait-ce que timidement et qu’au conditionnel à l’appel du 1er Novembre 1954 ? », n’est-il pas en train de sanctifier lui-même ce terrorisme ? Que le FLN ait fait passer le droit à la vie, par une allégeance inconditionnelle à sa politique, est effectivement la réalité, mais que 54 ans après sa création, B.M ose encore se réclamer d’un mode de pensée aussi totalitaire, puis m’incriminer, moi, d’une « absence de distance »… ? ? !…
Arasée…Pétrifiée ? « La majorité de la population est drastiquement assignée à une minorité de nature quasi biologique », écrit-il. Si tel avait été le cas, comment expliquer alors la résistance séculaire culturelle et politique, dont Lacheraf a fait presque l’exhaustif inventaire ? Comment expliquer le poète Si Mohand U M’hand, le romancier arabophone Réda Houhou, le romancier francophone Mohamed Dib, et ils ne furent pas les seuls écrivains ? Racim, Baya, Issiakhem et Khadda, qui ne furent pas les seuls artistes-peintres ? Comment expliquer la naissance d’un mouvement politique et d’élites modernes, à partir du 20ème siècle, dont l’essor continu se fait dans le cadre d’un pluralisme politique qui autorise partis, syndicats, journaux, rassemblements, meetings, et défilés, (auquel le FLN met fin, non seulement dès sa création en Novembre 1954, par une sorte de putsch, exigeant des autres partis qu’ils disparaissent, mais aussi après l’indépendance, par un nouveau putsch) ?…
…El Alia. Dans cette séquence, on voit notamment un ancien moujahid décrire à notre personnage principal l’acte que ses chefs lui ont dit de commettre : égorger une femme chez elle. Et, il ne peut s’empêcher de préciser qu’il a ensuite avalé le plat de sardines qu’elle préparait pour le repas de midi, tout en reconnaissant il est vrai que « dans ces moments, on ne sait plus très bien ce que l’on fait ».
Parlant donc de ce personnage, image effectivement peu glorieuse pour une « Armée de Libération Nationale », notre professeur écrit : « La caméra fait gros plan sur le barbare ». Et il aurait raison, si notre montage n’avait retenu que la relation de cet acte : l’acte d’un « barbare », privé de toute pensée, livré à ses seuls instincts.
Sauf qu’il n’en est rien ! Car dans la séquence qui précède, ce moudjahid vient juste, de nous révéler précisément la pensée au nom de laquelle il « n’a rien laissé » (en parlant des femmes et des enfants d’ouvriers d’El Alia, ce village minier des environs de Skikda) : « Nos chefs nous ont dit que chez les Français, ce sont les femmes qui commandent. Et lorsqu’elles verront ce que nous avons fait ici, elles diront à leurs maris, partout en Algérie : allez, on repart en France ! »
FLN-GIA.« Ces sœurs et ces prêtres ont été assassinés par le GIA dans la décennie 1990… A moins de suggérer l’idée d’une filiation entre les bombes d’Alger et les années 1990… Que cache cette allusion d’évidence anachronique ? ».
Enfin une vraie question ! Mais, dommage, immédiatement bottée dans la touche de « l’anachronisme ». Notre sociologue-historien ne devrait-il pas savoir que le temps humain est un temps télescopé, et qu’il ne vit le passé qu’au travers de son présent, lequel ne fait jamais que raviver les traumas refoulés ?
Qu’y aurait-il de si choquant à penser que la bombe qui prive de son bras la petite Nicole Guiraud, fille d’ouvrier, devant le Milk Bar en 1956, n’est pas tellement différente de la bombe de 1995 qui prive à nouveau de leurs bras et jambes d’autres petites filles d’origines toutes aussi modestes ? Sans parler, dans un cas comme de l’autre, de celles et ceux qui y laisseront leur vie….
Combien de morts faudra-t-il encore, si, ni les 200 000 personnes de la décennie dite noire, ni le dramaturge Abdelkader Alloula assassiné en 94 par les islamistes, dont notre sociologue s’est toujours dit l’ami, n’ont pas réussi encore à l’inciter à réfléchir à cette question ?
…Combien de morts encore pour commencer à dire que l’islamisme n’est pas un produit d’importation comme certains veulent le faire croire, mais un produit bien local qui ne s’est pas généré spontanément, ayant une filiation évidente avec le nationalisme, une autre des multiples variantes de la pensée d’exclusion, qui transforme tout conflit en « fitna », et tout contradicteur en condamné à mort ?
Au fait, B.M me dira, peut-être, s’il considère aussi comme un « anachronisme » le fait que son papier sorte au moment où les prêtres continuent d’être victimes de harcèlements de tous ordres, 46 ans après l’indépendance, et alors qu’il n’y a plus de « population coloniale »…
Camus…B.M n’écrit-il pas : « Appuyé sur la philosophie camusienne de la justice et de la morale, il (moi) juge injustes et immoraux leurs actes (celui des résistants) qui ont tué des civils » ? Que l’on puisse comme Camus, lui-même résistant durant la 2ème guerre mondiale, (contrairement à Sartre qui fit de la résistance, plus tard, par mouvements indépendantistes interposés !) accepter une violence qui libère, mais aussi refuser celle qui ne se donne aucune limite, semble une incongruité pour B.M, un impensable. Lui qui a fui en France la violence islamiste, préfère railler : « Lledo joue au pacifiste à rebours du temps ». Et sans aller jusqu’à affirmer clairement que lui accepte cette violence contre les civils, et notamment les femmes et les enfants (Hasfeld, auteur de livres essentiels sur le Rwanda, voyait dans le meurtre ciblé des femmes et des enfants, une possible définition du génocide), B.M la justifie… en se retranchant courageusement, lui aussi, derrière la fameuse formule de Ben M’Hidi prononcée en 1957, alors que prisonnier, ce dernier savait quelle serait sa fin. S’abriter derrière le bouclier d’un des Pères du mouvement indépendantiste, et, 50 ans après, faire preuve de dévotion envers une pensée élaborée plus que dans l’urgence, est plutôt consternant de la part d’un chantre de l’iconoclastie (cf son dernier livre sur Kateb Yacine).
Cette formule de Ben M’hidi : « Donnez-moi vos tanks, je vous donne mes bombes » serait acceptable dans le seul cas où les bombes du FLN auraient visé des institutions représentant ou symbolisant le système colonial. Mais lorsqu’on sait que ces bombes visaient expressément des civils, et qui plus est des civils non-musulmans, ne peut-on s’inquiéter légitimement du résultat qui aurait résulté de cet échange (bombes contre tanks) ?
Mais plus encore, B.M, comme le reste de mes détracteurs, fait tout pour ne pas voir ce qui, pourtant, crève l’écran, du début à la fin de mon film : non seulement la violence nationaliste ne s’est donné aucune limite, mais surtout, elle a eu un contenu manifestement ethnique. D’Août 55, au 5 Juillet 62, la date officielle de l’indépendance, ordre est donné de tuer du « gaouri » ou du « yaoudi », sans distinction d’opinions, d’âge ou de sexe.
« Le réalisateur oublie que l’élucidation de tous ces phénomènes et des extrêmes violences qui les ont portés, n’est pas nichée dans la mémoire intime, mais dans la durée de l’histoire. »
Se réfugier, non pas cette fois derrière la Figure d’un autre Père de la Révolution, mais derrière celle … de l’Histoire, est effectivement encore une fois faire montre d’un grand courage intellectuel ! Cette érection de l’Histoire en Dieu justifiant tous les massacres, Camus depuis longtemps en a démonté le mécanisme et l’irréversible conséquence : le totalitarisme…
Qu’est- ce qu’un intellectuel ? C’est la question récurrente, lancinante, que pose à chaque instant le texte de B.M. Si un intellectuel vaut par sa pensée, et que la pensée est régie par des impératifs universels, pourquoi insister sur son algérianité, répertoriée dans la liste des maladies incurables quoique non-honteuses ?
Si un intellectuel a pour devoir hygiénique de balayer d’abord devant la porte de sa nation, n’est-ce pas curieux d’abdiquer devant la pensée nationaliste qui situe le mal toujours chez l’Autre ?
…En refusant d’appeler « déplacement de population », l’exode massif de la quasi-totalité de la population non-musulmane, mais plutôt, je cite : « une fracture entre les populations européennes et algériennes (sic) creusée et élargie aux dimensions de la Méditerranée » n’est-il pas en train de pratiquer l’exercice bien connu qui consiste à ne jamais nommer un « chat » que par un de ses multiples euphémismes ? Et si ce n’est ni un déplacement de population, ni un exode, faut-il en conclure qu’un million de personnes, de toutes convictions politiques, n’ont été victimes que d’un simple délire collectif de persécution ?
Au fait, j’aurais été curieux de savoir par quelle autre délicieuse circonvolution, il désignerait le Code de la Nationalité adopté en 1963, décrétant que seuls les natifs d’Algérie musulmans pouvaient être automatiquement algériens !…
L’esthétique… Le plaisir (esthétique), ne semble décidément pas le souci de notre spécialiste de l’art. Lui, n’est pas dans le ludique, mais dans le normatif : « Aucune explication n’est donnée par le réalisateur pour prémunir le spectateur contre une confusion des genres et des temps ». Mais un réalisateur n’est pas un garde-chiourme ! Ce boulot est habituellement dévolu aux censeurs. Il est quand même étrange que celui qui s’est fait l’admirateur de deux artistes, qui ont passé leur vie à créer de la « confusion entre les genres et les temps », Issiakhem et Kateb, ignorât que le travail artistique consiste souvent à augmenter la confusion pour éclipser les fausses clartés académiques de l’évidence.….