Le FLN et les Juifs durant la GUERRE D’INDEPENDANCE (1954 – 1962)

….. En effet, d’Algérie puis de Tunis, le FLN appelle dans plusieurs « Lettres » Juifs et Européens à le rejoindre. Qualifiés d ‘’Algériens’’, il leur assure que son vœu est celui d’ « une Algérie multiethnique, multiconfessionnelle… où toutes les communautés seront respectées… ». Et du haut de la tribune de l’ONU, la diplomatie du GPRA 9  le confirme : « L’Algérie est le patrimoine de tous…. L’Algérie aux Algériens, à tous les Algériens, quelle que soit leur origine. Cette formule n’est pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante, basée sur une vie commune. ». (Appel du 17 Fev 1960 « Aux Européens d’Algérie »).

Mais sur le terrain, les insurrections, comme en Août 55 dans le constantinois, se mènent au nom de Dieu (‘’Djihad fi Sabil Illah’’), et l’on appelle à tuer les Infidèles, les chrétiens et les Juifs (‘’Nkatlou Gouar, Nkatlou Nsara, Nkatlou Yahoud’’). Quant au terrorisme dans les villes, au pistolet ou à la bombe, il vise sélectivement les civils non-musulmans, Pieds-noirs et Juifs, au facies. « Dans les premiers mois de l’année 1956, les agressions se multiplient, le samedi de préférence : en mai contre le rabbin de Batna; en juin contre les cafés juifs de Constantine ; synagogue d’Orléansville incendiée. En Novembre, une bombe placée dans la maison d’ Isaac Aziza, rabbin de Nédroma, le tue ainsi que plusieurs membres de sa famille. » 10.  Précisons qu’à Constantine, suite aux attaques à la grenade des cafés juifs en 1956, des groupes de jeunes juifs, préparés à cette éventualité par des instructeurs venus d’Israël, ripostent et très durement, selon Robert Attal, instituteur, qui conclut ainsi le témoignage désapprobateur qu’il me donne de cet événement : « l’ombre du pogrom de 1934 planait » (R. Attal est l’auteur d’un livre sur ce pogrom du 5 Août où a péri son propre père.). L’année 1957 est aussi dure… Assassinats à Oran du Dr Cohen (le FLN s’excuse) et en Mars du grand Rabbin de Médéa. Bombe extrêmement meurtrière à Alger le 9 Juin, placée sous l’estrade du Dancing de la Corniche fréquenté surtout par des Juifs de Bab El Oued et non par des parachutistes comme le dit la propagande FLN, qui pulvérise notamment sa vedette Lucky Starway (Lucien Séror), son orchestre et des danseurs (7 morts, 85 blessés dont 10 très graves)… En Août, à Alger, David Chiche (65 ans) est arrosé d’essence.

Les années suivantes et ce jusqu’à l’indépendance, les exactions contre les Juifs sont d’autant plus retentissantes qu’elles s’exercent dans des lieux sacrés et lors de fêtes religieuses : grenades dans les synagogues de villes du Sud, Boghari en Mars 1958 (1 mort), et Bou Saada en 1959, la veille de Kippour (la petite fille du Rabbin tuée). En Décembre 1960, durant les grandes manifestations populaires, où le slogan « Algérie musulmane » se substitue à « Algérie algérienne », à Oran le cimetière est profané, et à Alger la grande Synagogue de la Casbah est dévastée aux cris de ‘’Mort aux juifs’’, les Rouleaux de la Loi profanés, des croix gammées dessinées sur les murs, et le drapeau indépendantiste planté. En 1961, assassinat en Juin à Constantine  du célèbre musicien Raymond Leyris; en Septembre à Oran, le jour de Rosh Hashana, un père se rendant à la synagogue avec ses 2 enfants est poignardé et un coiffeur ambulant, Choukroun, tué, le cimetière juif profané et la maison du gardien pillée (ce qui provoque des réactions et des affrontements communautaires). En 1962, assassinat en Janvier à Constantine du frère de René Samuel Sirat qui deviendra le Grand Rabbin de France, attaque  du Consistoire toujours à Constantine en Février, assassinat à Alger de 2 enfants juifs. Et le 5 Juillet 1962 à Oran, le jour même de l’indépendance, massacre de très grande ampleur dans plusieurs quartiers simultanément, et notamment les quartiers juifs, visant au faciès les non-musulmans (plus de 400 morts officiellement recensés) 11 , comme un message à ceux qui ne sont pas encore partis, et à ceux qui auraient eu l’idée de revenir…

Cette énumération, loin d’être exhaustive, montre que les civils juifs, à l’instar des civils d’origine chrétienne, furent une cible du terrorisme FLN. Ce choix de stratégie, est clairement mis en évidence par le bilan total des victimes : 5000 civils non-musulmans assassinés, pour 10 000 soldats français tués au combat. 50% donc… (les civils musulmans furent aussi une cible du FLN, plus de 10 000 tués, mais le but est autre : soumettre les siens à sa seule autorité, voire à l’autorité de certains chefs…).

POST-INDEPENDANCELe double langage éventé.

Cette stratégie a un but: faire partir les non-musulmans avant l’indépendance.  Mais soigneusement dissimulée par ses promoteurs, ou par ceux qui défendirent la cause indépendantiste, elle ne sera révélée que par la suite. Cependant même ces tardives révélations n’ont pas encore conduit les historiens à formuler de nouvelles hypothèses : ce qui est plus troublant.

1981 –  Les Archives De La Révolution Algérienne (ed. Jeune Afrique), Mohamed Harbi, dirigeant FLN, puis historien, livre un PV de réunion au Maroc en 1961, où l’un des plus importants dirigeants, Lakhdar Ben Tobbal, harcelé par des militants furieux contre les appels du GPRA aux Juifs et aux Européens, les rassure à 3 reprises en leur répétant : « c’est purement tactique !».  Ajoutant même, la 3ème fois, pour les radoucir : « Il n’est pas question qu’après l’indépendance, il y ait des Juifs et des Européens, dans le gouvernement. ». 

1990Les Accords d’Evian (Le Seuil). Signés en Mars 62 par la France et le GPRA, ces Accords sont ainsi commentés par l’auteur, un des négociateurs, Réda Malek : « Heureusement, le caractère sacré arabo-musulman de la nation algérienne était sauvegardé.». Précisons que Réda Malek, qui dans les années 90 a comme premier ministre mené une guerre sans concession aux islamistes, s’est de tout temps  considéré comme un moderne et un « progressiste »… On peut donc imaginer l’état d’esprit de la majorité des dirigeants qui au contraire, sont considérés comme des « traditionalistes », des « conservateurs »  ou des « réactionnaires ».

1998 – La fin de la guerre d’Algérie (Casbah Ed). Ben Khedda, qui fut le Président du GPRA au moment de la signature de ces Accords d’Evian explicite : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale ».

1991 – La guerre d’Algérie et les intellectuels français (Ed. Complexe), Jean-Marie Domenach, intellectuel français catholique et résistant, ayant soutenu la lutte pour la décolonisation en Indochine et en Algérie, directeur de la Revue Esprit, fait ainsi état d’une rencontre avec un dirigeant du FLN, qui sera d’ailleurs égorgé par les siens, quelques mois après en 1957 :  « Je me rappelle en particulier une discussion qui a été  d’une violence extrême avec Abbane Ramdane… Je lui ai parlé du sort qui serait fait à la population ‘’pieds-noirs’’. Je lui ai dit : ‘’Vous n’allez pas mettre tous ces gens à la porte comme ça‘‘ . Il m’a répondu : ‘’S’ils ne sont pas contents, ils n’ont qu’à s’en aller’’ ».

2004 –  Cet étranger qui me ressemble. Entretiens avec Jean Daniel. (Grasset). Dans un avion privé se dirigeant vers Melun, lieu d’une négociation, en 1960, le directeur du Nouvel Obs, lui-même juif algérien de Blida, demande aux diplomates du GPRA, Boumendjel et Benyahia : « Croyez vous qu’avec tous ces fanatiques religieux derrière vous, il y aura dans une Algérie indépendante un avenir pour les non-musulmans, les chrétiens, les juifs auxquels vous avez fait appel ? ».

Après que Boumendjel ait dit à Benyahia : « Il ne faut pas mentir à Jean », voici ce qu’il s’entend répondre : « Le pendule a balancé si loin d’un seul côté pendant un siècle et demi de colonisation française, du côté chrétien, niant l’identité musulmane, l’arabisme, l’islam, que le revanche sera longue, violente et qu’elle exclut tout avenir pour les non-musulmans. Nous n’empêcherons pas cette révolution arabo-islamique de s’exprimer puisque nous la jugeons juste et bienfaitrice. ».

AIT AHMED – l’exception qui confirme la règle.

Responsable nationaliste de premier plan, partisan de la lutte armée, un des principaux créateurs du FLN, son opposition à la ligne arabiste du PPA-MTLD (ancêtre du FLN) le marginalise avant 1962, puis l’exile après.

En 1963, lors de la 1ère Assemblée Constituante, il est un des très rares députés à s’opposer à l’inscription de l’Islam dans la Constitution comme « religion d’Etat », puis au Code de la Nationalité discriminatoire, qui stipule que l’on est Algérien si l’on a un père et un grand-père nés en Algérie…. musulmans.  Les non-musulmans considérés comme étrangers doivent donc en faire la  demande : beaucoup de ceux qui avaient payé leurs convictions indépendantistes par la torture et la prison, trouvant la démarche humiliante, s’y refusent et quittent l’Algérie.

On ne peut donc être étonné de lire, lorsqu’il évoque « la tragédie humaine » de l’exode de 1962 : « N’oublions pas que les religions, les cultures juives et chrétiennes se trouvaient en Afrique du Nord bien avant les Arabo-Musulmans, eux aussi colonisateurs, aujourd’hui hégémonistes… Avec les Européens et leur dynamisme – je dis bien les Pieds-noirs et non les Français – l’Algérie serait aujourd’hui une grande puissance africaine, méditerranéenne.  Hélas, je reconnais que nous avons commis des erreurs politiques stratégiques. Il y a eu envers les Pieds-noirs des fautes inadmissibles, des crimes de guerre envers des civils innocents et dont l’Algérie devra répondre au même titre que la Turquie envers les Arméniens. » (Propos accordés à Francis Rugas, in Les Français d‘AFN, Mai 1987).

Ces propos d’un grand courage politique, même s’ils sont restés assez confidentiels, ont l’intérêt de situer le problème au niveau de la stratégie. Cette stratégie est en fait l’expression d’une conception excluant de la future nation toutes les minorités non-musulmanes qui sera le fondement non écrit du nationalisme algérien depuis les années 30 : ‘’La Valise ou le cercueil’’ est le slogan de son principal parti, le PPA, à partir du milieu des années 40.

André Beckouche, communiste juif constantinois, se rappelle que dans un de ces débats d’étudiants algériens à Paris, qu’il situe en 1955, Réda Malek avait ainsi conclu : « L’Algérie, n’est pas un manteau d’Arlequin »… Puis ajoute : « je suis resté en Algérie jusqu’en 1965. J’ai dû me résoudre à quitter l’Algérie, mon pays natal et la terre de mes parents depuis des siècles et des siècles. Car l’Algérie n’a pas pu ou su garder les non-musulmans et je n’y trouvais pas ma place tout comme des camarades de grande valeur. Je pense à Henri Alleg, et à combien d’autres, Sixou, Timsit… La vérité, c’est que la France les a mieux accueillis et traités, eux qui avaient combattu sa politique coloniale, que l’Algérie pour laquelle ils avaient combattu. » (Interview réalisé par la cinéaste Brigitte Stora, en 2007). Il se rappelle aussi des propos tenus par un autre dirigeant nationaliste Bélaïd Abdeslam : « Avec un million d’Européens, l’Algérie serait ingouvernable… »

L’Algérie pour laquelle il combattit, voici ce qu’elle fit de la mémoire d’un autre communiste juif, Pierre Ghenassia, qui s’engage à 17 ans dans l’ALN, et qui, infirmier, préféra mourir plutôt que fuir et abandonner ses blessés, comme le lui proposa son chef, le Cdt Azzedine : à Ténès, sa ville natale, sa rue fut en 1963 baptisée « Rue Pierre Ghenassia », puis quatre années après, l’année de la guerre entre Israël et les pays arabes, débaptisée en… « Rue El Qods ».

Force est donc de constater que malgré la relative profusion de faits, de propos et de textes de dirigeants nationalistes qui dévoilent assez clairement que la guerre d’indépendance n’eut pas que le seul objectif déclaré d’obtenir le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », mais aussi et simultanément, celui d’anéantir l’autre droit, tout aussi légitime, « le droit des minorités à demeurer dans le pays de leurs ancêtres », ce 2ème objectif de la stratégie nationaliste reste occulté par les historiens spécialistes de cette période, tant algériens que français. On peut même parler de dénégation. Et dans le cas de l’un d’eux, Benjamin Stora, de comportement schizophrénique. 

Quand il témoigne de sa propre vie d’enfant juif constantinois dont les parents vont quitter leur pays juste avant l’indépendance, alors qu’il n’a que 12 ans,  on peut constater que dans le seul chapitre consacré à la guerre « Une enfance à Constantine » 12, la peur comme réalité et comme imaginaire est déclinée selon de multiples occurences : « J’avais très peur… j’avais peur qu’il (le père) lui arrive quelque chose, qu’il soit victime d’un attentat, qu’il puisse mourir… La nuit, j’entendais mes parents parler. Ils étaient inquiets, surtout vers la fin de la guerre… les peurs nocturnes venant s’accumuler aux attentats, construisaient un climat d’angoisse… Enfant, j’avais intériorisé cette peur communautaire, d’autant qu’elle faisait référence à un événement lointain qui s’était imprimé dans l’imaginaire des Juifs de Constantine, avec les récits sur les affrontements sanglants du 5 août 1934, entre Juifs et Musulmans. Les ‘’événements d’août 34’’ continuaient d’exister dans les conversations… ‘’Ils ont tué Raymond !’’ C’était quelque chose d’énorme, de gigantesque. La communauté juive de Constantine était choquée, bouleversée… Une procession gigantesque a suivi la dépouille de Raymond qui a été enterré, si mes souvenirs sont bons, tout à fait au début du cimetière. C’était le grand tournant, le moment où ce qui restait de la communauté juive de Constantine en 1961 a choisi de partir vers la France. »

Mais l’historien spécialiste de l’Algérie, qui dans son livre Les trois exils donne pourtant une liste impressionnante quoique non-exhaustive du ciblage juif par le terrorisme FLN durant la guerre, a semble-t-il du mal à concilier cette réalité, et ses propres souvenirs, avec ses convictions anticolonialistes.  Car lorsqu’il intervient dans des espaces politiques, en France ou plus encore en Algérie, c’est généralement pour minimiser la terreur FLN. « Depuis qu’ils sont rentrés en France (sic !), les rapatriés (resic) ont toujours cherché à faire croire que la seule raison de leur départ était le risque qu’ils couraient pour leur vie et celle de leurs enfants. Et qu’ils avaient tous été obligés de partir…. » . C’est avec ces mots qu’il apporte sa caution scientifique à un reportage scandaleux du Monde Diplomatique (Mai 08) 13, cherchant à démontrer que Juifs et Pieds Noirs, « incapables de toute réversion mentale », avaient quitté l’Algérie non en raison d’une peur qui aurait eu quelques fondements objectifs, mais par…  racisme, par refus d’être gouvernés par des Arabes. Quelques jours après la sortie de cet article, lors d’un débat (filmé) à Paris, il nie que ses parents aient quitté leur pays par peur, et répondant furieux à une personne qui lui avait demandé si leur départ n’avait pas un lien avec l’assassinat de Raymond Leyris, s’exclame : « Ils sont partis parce qu’ils aimaient la France  (26 Mai 08) 14.

Cette crainte de l’avenir dans un pays dont il était prévisible que l’islam y deviendrait religion d’Etat, ne provenait pas seulement du statut passé de dhimmis, mais aussi de l’actualité et du voisin marocain où l’accès à l’indépendance en 1956 est aussi marqué par des violences antijuives.

CONCLUSION

Alors même que je venais à peine de prendre conscience au bout d’une année de quête filmée, qui deviendra « Algérie, histoires à ne pas dire », que les 130 000 Juifs d’Algérie comme les 800 000 Pieds-noirs, avaient été poussés hors de leur pays par la stratégie ethnique du FLN, il me fallut oser ouvrir des livres d’histoire, pour découvrir que de l’Iran jusqu’à l’Afrique du Nord, près de 800 000 Juifs furent forcés de quitter des terres qu’ils avaient pourtant habitées des siècles, voir des millénaires, avant que n’apparaisse l’Islam…28

Ainsi dans les pays musulmans, la question juive avait disparu… avec la disparition des Juifs, encore que, comme on l’a vu, elle pouvait ressurgir, au moindre blues de nostalgie juive.

(Ainsi en 2005, lorsque 150 Juifs tlemcéniens revinrent dans leur ville natale et que se déclencha dans la presse algérienne une hystérie antijuive, dont on peut avoir idée avec entre autres cet exemple : « Le temps de l’enjuivation ! La façon provocante et plus qu’officielle avec laquelle les juifs ont été reçus à Tlemcen indique qu’il existe des musulmans, issus de notre sang, qui sont encore davantage enjuivés que les juifs eux-mêmes. ». Ech-Chourouk El-Youmi)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *