Jean-Pierre Lledo, réalisateur juif algérien, marxiste et antisioniste par conviction anticoloniale, entame ici son Grand Œuvre sur Israël et requestionne ses positions à l’épreuve du réel. Pour honnête que soit le procédé, ce Kippour, malhabile, ne séduit pas toujours.
Avec cette longue plongée (près de 11h au total) sur Israël, à la fois dans sa géopolitique contemporaine et dans sa dimension biblique, Jean-Pierre Lledo se lance dans un travail exploratoire tant de son identité que de ses convictions marxistes. On ne mesurera qu’à l’issue du dernier volet (Pessah) à quel point ce travail aura fait bouger les lignes. En nommant cette première partie Kippour, du nom de la fête la plus sacrée de la liturgie juive, et en la dédiant à son père, Noël Lledo, marxiste algérien athée, et à sa mère, Émilie Attia, qui respectait Kippour, il nous fait connaître la quadruple dette que par ce travail introspectif il entend régler. La première à son oncle Maxime, sciemment oublié parce que sioniste, la seconde aux juifs d’Algérie, perdus de vue au nom du déni, la troisième pour n’avoir rien transmis à ses enfants de cette judaïté qui pourtant les constitue, et enfin, la quatrième, pour s’être complu dans l’ignorance d’Israël au nom d’une idéologie commode. Accompagné de sa fille Naouel, il attaque sans faillir ni faiblir chacun de ses manquements et, commençant par le premier, va à la rencontre de la veuve de son oncle. La retrouvant chez elle, il s’émeut de ce que la conversation, interrompue voilà cinquante ans, reprenne là où elle fut laissée. Les larmes de la tante sont pour Lledo comme la bénédiction de l’oncle disparu. Pour recréer le lien interrompu avec les juifs d’Algérie, et notamment avec ceux nés, comme lui, à Tlemcen, au nord-ouest de l’Algérie, il s’en va les retrouver après un concert de musique arabo-andalouse, ce blues lié à l’exil qui est comme la “saudade” (relative) des juifs issus du Maghreb. Tous évoquent leur histoire algérienne, là encore souvent traumatique car faite de rejet, de violence et d’une haine du juif bien souvent attisée au cœur même des mosquées et que résume le tristement célèbre : la valise ou le cercueil. Mais quel juif n’est pas un survivant ? Enfin pour s’être complu dans l’ignorance d’Israël, Jean-Pierre Lledo se lance dans la déconstruction de ses fantasmes et donc de ses convictions marxistes. Entamant avec l’historien Denis Charbit, professeur de sciences politiques, une réflexion sur le mot sionisme, il cherche à en définir le substrat : le sionisme, mouvement pourtant initialement laïc, est la grande victoire du judaïsme et le catalyseur de l’énergie juive à travers 2 000 ans d’histoire. Les juifs sont un peuple et une Nation que seuls l’exil – et le christianisme – ont transformé en religion et pour qui le sionisme, expression du désir de prendre en charge sa destinée politique, ne peut se concrétiser ailleurs que sur la terre d’Israël. Poursuivant sa réflexion avec Ilan Greilsammer, professeur de sciences politiques et de civilisation française à l’université de Tel-Aviv, Lledo cherche à comprendre l’usage politico-sémantique fait du terme colonialisme qui servait jusqu’ici à souligner l’absence de lien culturel entre le colonisé et le colonisateur. Ce mot se voit donc soudain utilisé par le monde arabe (et par l’extrême gauche) en vue de nier la légitimité du lien des juifs sur leur Terre promise. Et par ces rencontres et ces questionnements, Lledo commence à se comprendre juif.