Propos envoyés à l’auteur le lendemain d’une projection à Paris (13 Mars 008)
Ce journaliste (Juif de Tunisie) était à cette époque l’administrateur de l’hebdo Marianne.
En vérité, je ne suis que ‘’de chez nous’’. Et aussi, pour mille raisons, de la guerre d’Algérie. D’où mon envoûtement à voir et écouter des Algériens d’aujourd’hui ressusciter ces jours lointains encore si actuels. Votre art n’y est pas pour rien. Je crois aujourd’hui que cette guerre n’était pas inévitable, comme le pensent presque tous les peuples concernés. L’indépendance, elle, était, évidemment inéluctable. La colonisation de l’Algérie avait été une pure connerie. La France l’a si bien reconnu qu’elle n’a jamais reproduit l’expérience dans son empire, tout sauf l’Algérie. L’important dans le 1er novembre c’est sa date. En Indochine et en Tunisie c’est déjà gagné, le Maroc va dans le bon sens. Les empires britanniques et français se disloquent, les deux Grands poussent à la roue avec le Tiers Monde, la page de la colonisation est tournée. C’est à ce moment-là que quelques têtes brulées du PPA se lancent dans un putsch contre la direction du nationalisme algérien et destituent, par la constitution du FLN et le 1er Nov., les leaders historiques et l’élite militante. Les putschistes ont confisqué le pouvoir à ce jour. Sans le 1er nov. la complexité du problème aurait exigé peut être quelques années supplémentaires d’un combat politique assorti d’un brin de violence sous la direction des bacheliers et de oulémas. Pas des incultes. Avec le 1er nov. toutes les issues étaient bouchées. Le FLN c’était et c’est toujours le « tout violence », l’abolition du politique et la soumission des meilleurs algériens aux fusils ignares.
Mieux que cent livres d’histoire, votre film le démontre implacablement. Ce n’aurait été que demi-mal, si l’inévitable triomphe de la révolution (sans guillemets) n’avait pas élevé le mythe de l’invulnérable moudjahid, le fusil et la bombe, en modèle indépassable du politique au Maghreb et dans le monde arabe.
Pourquoi tous les non-musulmans et tant de musulmans sont partis et partent encore? demandez-vous. La réponse est dans le film, préparation du 20 aout 55, « Egorgez les, ils partiront », c’est à dire l’essence de cette guerre. Dans mon pays, au Maroc et ailleurs l’épuration ethnique, l’une des plus achevée que l’histoire ait chroniqué, a suivi l’algérienne et l’hégémonie du fusil s’est enracinée. Les épurés n’y ont perdu que leur patrie, le Maghreb y a laissé sa tête, il s’est décapité. Nous autres, bolcheviks, en Afrique du Sud, nous avons fait beaucoup mieux.
L’Algérie souveraine s’est édifiée sur l’héroïsme et la perfection du moudjahid. La seule fierté d’un peuple entier, le seul lieu où se retrouvent islamistes, éradicateurs et démocrates. Enlevez ça aux algériens et vous démolissez le pays, c’est le seul ciment. Interrogez la grandeur de l’épopée et le fragile lien national se désagrège. Bourguiba n’est qu’un épisode de l’histoire de la Tunisie, le 1er nov, c’est toute l’Algérie.
Or, que disent presque tous vos personnages? Ils auraient souhaité autre chose, la lutte de libération bien sûr mais autrement, l’indépendance bien sûr, mais une autre indépendance. Ils parlent comme Ferhat Abbas, comme Messali, comme Saad Dahlab, le PCA et tous les autres (contre lesquels est lancé le 1er nov.), pas comme Ben Tobbal, Boumedienne et Zighout Youssef. Ils sont lucides, sincères. Le mythe est fantasme, supercherie, mensonge. Il entend rester aveugle à la réalité. Mais sur lui repose l’existence de la nation.
Sans le mythe pas d’Algérie 2008, plus d’Algérie du tout, de la poussière, des mechtas urbaines prêtes à s’étriper. Vous voudriez qu’on vous laisse montrer, démontrer la vérité à Alger, à Constantine alors que vous mettez vos salles parisiennes au bord de l’émeute? Ma i jich, mouch maaoul. Je m’efforcerai d’assister au débat de vendredi où il est hors de question que je prononce pareilles insanités, je n’oserais même pas l’écrire dans un journal d’ailleurs l’article serait refusé. C’est pourquoi je vous les confie.
Moi je n’ai pas votre courage (votre intrépidité?) qui vous vaut toute l’admiration de certains regards dont celui de Guy Sitbon.