En Algérie et en France. Et la raison en est identique : en général la peur des TV ou / et producteurs.
Dans le cas de l’Algérie, il faut bien sur avoir en vue que pour prévenir la censure, les cineastes pratiquent l’autocensure… Les occasions de faire un film étant si rares qu’il faut bien se garder de proposer un sujet litigieux…
En Algérie
L’unique société nationale de cinéma n’avait aucun budget. L’Etat lui octroyait des subventions à l’occasion des grands anniversaires (indépendance et déclenchement de la ‘’guerre de libération’’), et alors se faisaient quelques films, des années après l’écriture du scénario. Les années passaient sans un film produit, et comme j’étais plus non grata que d’autres…
- 1979. Mémed le Mince et Mémed le Faucon. Fiction.
Incité par un ami de la TV, je proposai une série fiction à partir de 2 romans de l’écrivain turc Yechar Kemal qui me donna son OK. Le personnage principal Memed était un jeune bandit d’honneur… Il y avait beaucoup d’analogies entre les situations que vivaient les paysans algériens face aux féodaux et celles décrites dans les romans… ‘’Le film demande beaucoup de moyens, et si nous te les donnons, beaucoup de réalisateurs de la boite en seront privés …’’, trouva comme échappatoire Ahmed Bedjaoui, le directeur de la production. Corporatisme ambiant, certes, mais surtout peur….
- 1980. La clef. Fiction.
Je faillis réaliser à la TV un court-métrage de fiction dans le cadre d’une série de films à sketches sur le thème du logement. Mais croyant qu’il y avait une opportunité de travail dans ma boite, je laissai le scénario que j’avais écrit à Rachid Benhadj qui me l’avait demandé. Quand le film fut programmé, j’eus la surprise de ne pas voir mon nom comme scénariste dans le générique fin du film !
- 3 Jours et 3 Nuits. Fiction.
Mon dernier scénario écrit en Algérie. C’est un huis-clos durant la guerre d’Algérie, quelque part dans une cache de la montagne, qui réunit 3 soldats algériens de l’ALN et leurs prisonniers, 3 soldats français. Un film psychologique plutôt que de guerre, loin de tout manichéisme. Tandis que l’armée française recherche les prisonniers, que se passe-t-il entre les 6 hommes, dont la survie ne peut provenir que de l’échec de ces recherches ? Et en fin de compte, les prisonniers seront-ils liquidés ou libérés ? Or la lutte n’est pas entre les deux camps comme on pourrait s’y attendre, mais à l’intérieur de chaque camp. Il y a ceux qui restent installés dans leur logique militaire et ceux qui arrivent à en sortir…
Le scénario s’inspire d’une histoire vraie qui fut relatée dans la presse algérienne par Abdennour Dzanouni ‘’Feuilleton historique sur le Commando Khodja – L’attaque de la Côte 616.’’, publié dans El Moudjahid en Janvier 1981, mais il n’est pas une reconstitution de ce récit. L’Entreprise nationale de cinéma en voie de faillite n’envisage plus de produire des films de fiction. Et en France, il ne se trouve point de producteur prêt pour cette aventure délicate, me précise-t-on.
- 2005. Houari Boumediene. Documentaire.
Enfin lorsqu’en 2005, persuadé que le Ministère de la Culture qui octroyait les autorisations de tournage allait voir d’un mauvais œil mon projet (les Pieds Noirs et les Juifs dans la mémoire algérienne) qui deviendra ‘’Algérie, histoires à ne pas dire’’, censuré depuis 2007, j’utilisais un subterfuge… Je proposai au Ministère non pas seulement ce scénario, mais aussi un second : sur Houari Boumedienne ! Je le décrivais surtout comme le créateur de l’Etat algérien, certes d’une poigne de fer, mais après tout si on le comparait aux autres dictateurs du monde arabe et du monde communiste, il n’avait pas été le plus terrible, loin de là. Je m’étais beaucoup documenté pour ce sujet-tabou (surtout pour moi le gaouri, non-musulman), mais je ne doutai pas de la réponse. Elle vint rapidement : ‘’On préfère que tu t’attelles à ton premier projet, celui sur Boumedienne ce sera pour plus tard…’’ me dit la Chef de Cabinet de la Ministre, une ancienne journaliste estimable de la Radio, sans doute aussi honorable correspondante…
En France
- 1993. Chronique d’une Violence annoncée. Documentaire.
Dès mon arrivée en France en 1993, je proposai à un producteur spécialisé dans le documentaire, un scénario où j’utilisais toute mon expérience personnelle dans les mouvements sociaux contestataires pour décrire la résistible ascension du fascisme islamiste depuis une bonne décennie. Le scénario emballa le producteur mais pas les TV, et le film ne se fit pas. Les islamistes, aussi surprenant soit-il pour moi à l’époque, avaient le vent en poupe dans les grands médias français qui préféraient nettement s’en prendre à l’armée algérienne, laquelle malgré tout était la seule à pouvoir préserver un peu de laïcité et de liberté de pensée (mettre lien du film Chroniques algériennes).
- 1995. Les Vaillants ne meurent qu’une fois. Fiction.
Le producteur Jacques Gary qui m’avait produit Chroniques Algériennes, m’incita à écrire sur le président algérien qui venait d’être assassiné par sa propre garde (29 – 06 – 1992), Boudiaf. J’y racontai l’histoire tragique des 6 derniers mois de la vie d’un homme politique au tempérament exceptionnel, pareille à une tragédie shakespearienne : retour de 30 ans d’exil, 6 mois enfermé dans le Palais présidentiel, et quand il en sort pour parler en direct à son public, assassiné devant toutes les caméras des TV, nationales et étrangères… Etait pressenti l’excellent comédien anglais Ben Kingsley qui avait déjà interprété Ghandi… Malheureusement la société du producteur fit faillite, et lorsque je m’adressai à d’autres, je recueillis partout la même réponse : ‘’sujet dangereux….’’.
- Exils. Documentaire.
Dès mon arrivée en France, je suis possédé par une étrangeté dont je ne saurais dire le contenu, mais que j’appelle ‘’exil’’… Il me faudra arriver à ma dernière Trilogie pour en connaître la nature. En relation avec beaucoup de familles amies qui arrivent d’Algérie, en état de choc, je comprends assez vite qu’ils sont ininterrogeables… ce qui n’est pas le cas de leurs enfants.
Pour le projet d’un film qui ne se fera pas, malgré l’agrément du CNC, en raison d’un producteur peu scrupuleux, je mène donc une enquête approfondie auprès d’enfants de 8 à 16 ans. La chose qui est d’emblée frappante, c’est l’énorme différence entre les garçons et les filles. Les premiers sont dans une situation de rejet, un peu sur la longueur d’ondes des parents. Les filles par contre sont épanouies. Les garcons se plaignent de tout. Les filles ont l’intuition qu’ici elles seront libres. Les uns et les autres s’accordent pour dire qu’ici les professeurs ne frappent pas. Mais ce qui me surprend le plus, c’est leur facilité à parler des choses les plus compliquées, et notamment de Dieu…
- 2000. Le Maboul. Fiction.
Je reçus à peu près la même réponse des producteurs ! C’était une adaptation de l’excellent roman du pied-noir Jean Pélégri qui m’en avait donné l’accord. Y était décrite l’amitié quasi-charnelle du propriétaire européen d’un domaine viticole et de son gardien arabe, depuis avant la première guerre mondiale. L’un avait la mémoire de l’autre. Mais quand s’approche la date de l’indépendance en 1962, le gardien, après avoir sondé les chefs maquisards qui prennent déjà possession des territoires, comprend qu’ils n’ont pas l’intention de lui laisser même le ‘’coin d’ombre’’ dont il se contenterait. Le gardien refusant que son vieil ami soit humilié, comprend sa demande muette, et le tue. Crime de fraternité…
- 2003. Jean Sénac. Fiction.
Le poète pied-noir dont le premier recueil “Poèmes” fut publié par Camus chez Gallimard, avec une préface de René Char, s’était rendu à Paris pour sa sortie en Septembre 1954. Le déclenchement de la guerre d’Algérie le fait y rester. Non-communiste, il se déclare assez rapidement pour le FLN. Et aussi assez aveuglément, allant même jusqu’à se brouiller avec Camus qui lui donnait du ‘’mi hijo’’…
Né en 1926 à Béni Saf, petite ville portuaire à l’ouest d’Oran, sa mère était fille d’un mineur venu d’Espagne, Sénac n’avait jamais connu son père. Il était homosexuel. Et un excellent poète. Sauf comme lorsque revenu en Algérie, juste après l’indépendance, il se mettait à chanter la beauté des ‘’Comités de gestion’’… Il devint le secrétaire de l’Union des Ecrivains. Après le coup d’Etat de 1965, on lui laissa son excellente émission radio sur les poètes du monde et d’Algérie. Une cohorte de jeunes poètes algériens venait le voir pour se faire connaitre… Mais en 1972 on lui enlève son émission pourtant très écoutée. Avec les ans une autre voix se fait entendre : Dans cette ville/On ne se parle plus/ On se ment. / On ne se regarde plus, / On s’épie. / On a peur.
Dans la nuit du 29 au 30 Août 1973, il est assassiné à Alger. Et la presse tente – trop vite – de concocter un scénario à la Pasolini : un amant jaloux, etc…
Compte tenu de mes préoccupations identitaires qui sont l’essentiel des sujets de mes films réalisés en France, le hasard d’un récital de poésie d’Alain Rais qui avait bien connu Sénac à Châtillon-en-Diois, près de Valence, où le poète avait vécu à partir de 59, autant pour des raisons littéraires que pécuniaires, n’est pas tout à fait un hasard qui me reconnecte avec le personnage un peu excentrique et mythique que l’adolescent algérois que j’étais, croisait souvent dans les rues d’Alger après l’indépendance…
Je fais aussi connaissance de Jacques Miel, qui fut d’abord son amant à Paris, puis qui cessa de l’être, Sénac décidant alors d’en faire son fils adoptif. On lui doit d’ailleurs en grande partie, la publication en 1999 par Actes Sud des œuvres poétiques (presque) complètes.
Mais c’est la lecture du seul roman, jamais achevé, ‘’L’ébauche du père’’ publié à titre posthume en 1982 chez Gallimard, et écrit entre 59 et 62 vécues dans ce petit village de Chatillon en Diois, qui me donne envie d’en faire une fiction. Le roman est autobiographique. Le narrateur est obsédé par le Père-absent. Et il est difficile de ne pas faire la liaison avec son homosexualité, comme avec son désir effréné de se trouver un Père de remplacement. Dans mon hypothèse, son affiliation quasi-aveugle au FLN, relève de ce besoin. Et d’ailleurs, le ministre de l’information Taleb Ibrahimi,, devenu très islamiste (son père ayant été le chef de l’association des Ulemas avant et pendant la guerre) qui lui enlève son émission radio en 1972, n’est autre que celui qui fut à Paris son recruteur FLN, mentor et contact… Le roman ne précise pas les choses… Le tabou était trop grand… Mais on peut imaginer que l’assassinat, 30 ans plus tard, visait à faire disparaitre un témoin gênant…
Toujours est-il qu’il y avait dans ce roman même inachevé, une épatante matière pour un film émouvant et complexe, mêlant la grande histoire à la toute petite… Car Sénac cumulait les “lieux refusés”. Non reconnu par son père, il brandissait sa bâtardise. Ni arabe, ni musulman, il clamait son algérianité. Homosexuel avoué, sa poésie était un hymne à la sensualité.
« Mon père, je l’ai gardé sous la peau, comme une statue invisible. Brun, grand, élégant et canaille, “moreno de verde luna” la tristesse désinvolte des héros de Lorca… Les pédés lui couraient après. Il les méprisait. C’était sa seule faille. Il n’était pas indifférent. C’est qu’il portait déjà, comme un champignon vénéneux, comme une boursouflure honteuse dans son sang, la conscience lointaine du fils. Et lorsqu’il embrassait des femmes, c’est avec dégoût qu’il décelait, entre leurs lèvres et les siennes, mon baiser voluptueux… Partout j’étais là, sur leurs lèvres, inceste inévitable… Le Père nomade a fui encore tout moite de son sperme. Et je reste irréalisé… Et c’est pourquoi je vais, sinueux et bavard, pour atteindre une seule chose qui importe. Le Père, le Pays, la Chair qui m’est donnée… ».
Cependant avant d’écrire le scénario, déjà très ébauché, du film dont l’action se serait entièrement passé en France durant la guerre d’Algérie, et pour lequel les confidences de Jacques Miel, durant 4 jours, me furent très importantes, je voulus réaliser un documentaire sur la vie de Sénac, surtout en France, en me disant que je recueillerai ainsi quelques informations utiles à la fiction, auprès des gens qui l’avaient bien connu, notamment les peintres pieds noirs sur qui il avait beaucoup écrit, Louis Nallard et Maria Manton ; André Bélamich, ancien compagnon de Camus à qui il présenta Sénac ; Abdallah Bénanteur, peintre et ami après 54, durant son “exil” ; Charlot, principal libraire et éditeur d’Algérie durant les années 40 et 50, à l’origine des premières éditions de tous les écrivains pieds-noirs, dont Camus, et plus tard Sénac.
Quand j’envoyai le scénario de ce documentaire au CNC, pour l’aide à l’écriture, l’on me fit savoir qu’un autre scénario de documentaire déposé par le réalisateur d’origine algérienne Abdelkrim Bahloul venait d’être accepté, et que le CNC ne pouvait soutenir 2 films sur le même sujet… Et quand j’appris par le réalisateur qu’il avait aussi déposé son projet de fiction Le Soleil assassiné (Sénac en Algérie), je compris que je n’avais plus aucune chance, et je laissai tomber, pour mon plus grand desappointement….
- 2008. El Halia ou l’enfer à 10 ans du matin. Fiction.
Le premier épisode de mon film ‘’Algérie, histoires à ne pas dire’’ étant consacré au massacre des non-musulmans le 20 Août 1955 dans ma région est de Philippeville-Constantine, qui fut la première action d’envergure de l’ALN, j’avais rencontré à Paris, juste avant de partir en préparation, le poète et chanteur Louis Arti qui à l’âge de 10 ans avait été un des survivants du village minier El Halia où plus de 40 personnes, de tous âges, toutes d’origine italienne, furent atrocement assassinées et mutilées. De ses souvenirs, il en avait publié un récit sobre et émouvant, à la veine poétique : El Halia, le sable d’El Halia.
Après la sortie de mon film, au printemps 2008, un producteur suisse André Martin (BOHEMIAN FILMS) qui venait de découvrir ce livre avait exprimé le désir d’en faire un film de fiction, et sur le conseil d’Arti, je fus pressenti, contacté, puis engagé pour écrire le scénario, et réaliser le film. Impressionné par la témérité du producteur, je me l’expliquais par sa nationalité…
Avant de commencer l’écriture, j’expliquais à l’auteur et au producteur ma conception. Mis à l’écran tel qu’il était, le livre ne portant que sur la journée même du massacre, le film deviendrait la relation d’une ‘’sauvagerie arabe’’. Je proposais donc d’écrire deux nouveaux actes : la vie du village avant la guerre, où comment se vivait une tranquille mixité ethnique (Le Temps de la Paix), puis la transformation de cette cohabitation avec le début de la guerre (Le Temps de la Bascule), le massacre final décrit dans le livre d’Arti avec des yeux d’enfant, devenant le dernier acte (Le Temps de la Violence)…
L’auteur et le producteur acceptèrent en Août 2008. Je remis ma première version du scénario, en Février 2009. Et le producteur commença a freiner de ses quatre fers. Mon 2ème acte lui posait problème. En effet l’on comprenait que le massacre du FLN-ALN n’avait pu avoir lieu qu’avec la complicité de la population musulmane, et que pour préparer les villageois musulmans à cette extrémité, il avait dû agiter la question identitaire, et les menaces contre l’islam… Aucun des grands massacres dans l’histoire de l’humanité n’aurait pu se commettre sans la (dé) raison identitaire. On tuait lorsque l’on se sentait menacé dans sa différence, et dans le cas de l’Algérie, il s’agissait de l’identité arabo-musulmane. La dimension religieuse de la guerre d’Algérie avait certes était très peu médiatisée. Pourtant elle avait bel et bien été menée par le FLN-ALN au nom de l’islam, ce dont témoignait le film documentaire que je venais de présenter au public français.
Nonobstant la raison sociale inscrite dans son site (BOHEMIANFILMS produit des fictions et des documentaires qui posent des regards singuliers sur le monde et qui le racontent…), et sans pouvoir argumenter son refus, André Martin mit donc fin à notre collaboration, mais en se réservant le droit me précisa-t-il d’utiliser mon travail, dans une autre version (!), sous le prétexte de m’avoir payé 5 mois de salaires… Ce qui serait illégal et l’enverrait devant les tribunaux.