D’ ‘’Un Rêve algérien’’ à ‘’Algéries, mes Fantômes’’

Je suis allé revoir Algérie mes fantômes au Forum des images un samedi soir. Et le film m’a de nouveau secoué, plus encore que la première fois. J’avais déjà ressenti cela avec Un rêve algérien : ces films ont en effet ce pouvoir qu’une deuxième vision permet d’en mieux voir la richesse. 

 

Lors du débat, j’ai entendu le réalisateur comparer les deux films en disant que pour lui ils traitaient du même sujet – leurs titres auraient pu s’échanger, a-t-il dit. Ils sont à mes yeux d’une nature différente. Au début d’Algérie mes fantômes, le mot nostalgie est prononcé alors qu’elle est totalement absente du film. Je l’ai en revanche ressentie dans Un rêve algérien. Il y est en effet question d’un retour en Algérie, sur une expérience unique qui s’est terminée par un échec. Près d’un demi-siècle plus tard, on exhume quelque chose qui était enterré. Le film est émouvant et fort, mais on y ressent une tristesse, le regret de ce qui aurait pu être.

Algérie mes fantômes au contraire se déroule en France. Le film est porteur d’avenir puisqu’il montre une histoire en marche : il ouvre des portes, révèle des personnes, sans asséner de vérité, en questionnant seulement. En allant à la rencontre des « fantômes » du réalisateur, nos voisins sont convoqués, on nous les fait voir tels que nous les ignorons. Les témoignages, familiaux ou pas, sont passionnants. Ils sont étonnants et brouillent les pistes sur lesquelles chacun campe et se replie. Ils bousculent les images que chacun adopte pour penser ou préserver son « algérianité ». Ils ont de quoi dérouter aussi les « Français de France » que l’Algérie sollicite également par l’histoire récente et ses prolongements humains.

Les tantes maternelles témoignent ainsi de façon différente d’une réalité qu’elles ont pourtant vécue ensemble. On y débusque un ancien para et on recueille de lui l’aveu que la lutte pour l’indépendance était légitime. On dévoile pudiquement la honte douloureuse chez la fille d’un harki.

Au-delà des actes ou des positionnements liés au passé (la guerre), on s’intéresse aux personnes (en France). La parole est donnée aux fils et aux filles des anciens acteurs ; leur témoignage est d’autant plus fort qu’ils sont innocents, par définition.

La recherche d’Arezki sur les traces de son père est émouvante. La fille de harki est bouleversante. La « beurette » de Tours, outre le fait qu’elle est incroyablement drôle, est d’autant plus pertinente qu’elle interroge le réalisateur, renversant ainsi les rôles.

Le sens de la démarche est personnel : le regard sur les interlocuteurs est proche, il dépasse la compassion – car tous souffrent de l’Algérie. Les interlocuteurs sont interpelés tes de façon touchante, révélés dans leur humanité. On découvre ainsi toute une complexité. Celle de l’Algérie et de son histoire tourmentée. Et puis sont posées les questions de l’exil et de l’identité dans sa multiplicité. Telle que l’Algérie l’a déniée. Telle que la France doit l’accepter.

Les témoignages sont riches, à l’instar de cet homme qui épouse une Algérienne pour se mettre en règle avec lui-même ; cet ancien militaire qui s’engage dans une cause humanitaire pour « réparer » ; ce journaliste handicapé qui exprime avec sa femme l’essentiel de ce qu’il faut retenir du film.

Les plus convaincus sont déstabilisés (Di Pizzo). En cela le film est subversif dans un pays qui préfère exclure et voter une loi simpliste (qui risque de conforter le communautarisme) plutôt que d’affronter les problèmes réels, autrement plus complexes. Dans une société où l’identité devient persécutrice et menace l’individu de repli – d’exclusion –plutôt que d’ouverture, Naouel, la fille du réalisateur introduit bien le problème.

La richesse du propos a de quoi faire vaciller par son invitation à la complexité. Il déstabilise et va à l’encontre des idées reçues. Réjouissant et communicatif, il peut être un formidable outil pour comprendre et accepter l’altérité.

La construction du film est remarquable. Pétri d’humanité, il fait penser et réfléchir. Plein d’humour et jamais triste, il éclaire et réconcilie.

Voilà, je souhaite une belle carrière à Algérie mes fantômes.

 Bernard d’Attona, journaliste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *