Le film évoquera le quotidien d’une Algérie qui a peur, qui souffre mais qui apprend pour survivre à surmonter l’angoisse et à résister. Comme tous les terrorismes, celui en cours en Algérie a le même but: susciter la terreur, créer un état d’insécurité permanent pour réduire au silence, annihiler toute volonté et rendre désirable l’autorité même tyrannique, d’un état, d’un parti ou d’un chef qui apporterait ‘’la paix’’.
Un nouvel ordre même fondé sur un degré extrême d’exclusion, deviendrait une aspiration.
Comment réagissent les Algériens dans leur environnement quotidien?
Nous distinguerons trois moments: la peur, les traumatismes, la résistance.
LA PEUR
Espaces clos des immeubles, des maisons, des chambres.
Obscurité, pénombre, lumière filtrée par les persiennes.
Rues désertes avant le couvre-feu ou à partir d’une certaine heure.
Peur des femmes et des hommes, des adultes, des enfants et des vieillards.
Peurs hors des maisons mais aussi dans les maisons.
Tout peut arriver. Il n’y a plus d’espaces inviolables. Méfiance, chaque inconnu est un danger.
Méfiance absolue, le voisin et même un membre de la famille peut être aussi un danger. Etre sur ses gardes et ne pas le montrer, parler le moins possible, ne pas questionner, rentrer le plus vite chez soi, rencontrer le moins possible de gens, se retrancher, se replier, s’isoler.
Mais quand malgré toutes ces précautions, l’on se trouve face au danger, face à la mort…
Expériences de la peur au ventre, de la panique, du sauve-qui-peut, de la paralysie, de la stupéfaction, de la sidération. Expériences des petites et grandes lâchetés : on ne se rend même plus aux enterrements d’amis victimes du terrorisme.
Bribes de récits, de gestes, de regards.
Emotions de peurs revécues et racontées pour nous.
Effroi de la contagion et puis à nouveau prostration des corps, vide des regards.
Espaces clos des chambres, des maisons, des immeubles.
Des gens simples racontent.
Des cibles privilégiées du terrorisme, médecins, journalistes, fonctionnaires, racontent.
LES TRAUMATISMES
Quand la peur s’installe, qu’elle n’est pas surmontée; lorsque le choc de la violence a été trop fort ou lorsque les personnalités sont trop fragiles. Désespoir, catatonie, névrose, folie.
Dans le meilleur des cas, volonté d’oublier, de partir ailleurs.
Que deviendra l’enfant, témoin de la décapitation de son père?
Les vieillards sont après les enfants, parmi les grandes victimes du terrorisme. La violence a été trop brusque et trop forte et leurs anciennes valeurs n’arrivent pas à l’expliquer ni à la justifier.
Ils se referment et meurent à grande vitesse.
Coma diabétique, perte de mémoire, sénilité subite.
Les médecins, les psychiatres disent leur trouble devant une situation quasi endémique.
Les associations des familles des victimes et de l’enfance témoignent.
LA RESISTANCE
Quand on ne veut pas partir ou qu’on ne le peut pas, il faut survivre.
Il faut travailler, il faut se ravitailler, il faut sortir et affronter le danger.
Réflexes élémentaires de vigilance, nouveaux comportements, rompre avec cette vieille idée de fraternité : ce type sympa, cet « enfant du quartier », peut être un tueur.
Rompre avec l’utopie islamique de la fraternité.
Mais cette nouvelle méfiance ne mène pas pour autant au repli individualiste.
On s’inquiète des amis, on les héberge, on les soutient, on les met en garde.
On ne se laisse plus abattre, on n’accepte plus la fatalité de la mort, on est décidé à vendre très chèrement sa peau.
On change d’appartement, de quartier, de ville et quelquefois de pays avec l’espoir que cela soit momentané, mais surtout ne pas déserter, ne pas abandonner ses amis.
Les femmes sont d’un courage exemplaire.
Elles bravent les interdits que la terreur intégriste prescrit : ne pas sortir sans le hidjab (voile), ne pas fréquenter les soirées coutumières (fête, funérailles, circoncision), ne pas soutenir les familles des victimes.
Les parents encouragent les jeunes femmes à manifester leur liberté : comment des « étrangers » se permettent-ils d’imposer leur loi à leurs propres filles?
Face aux diktats, on se révolte, on se contacte, on se concerte, on dira Non ensemble et plus seulement dans son for intérieur, on manifestera dans la rue et on se laissera filmer par la télévision.
On proteste et on réfléchit. Que veulent-ils? D’où viennent-ils?
Pour la première fois on perçoit des choses auxquelles on n’avait jamais pensé jusque-là.
On voit désormais les choses différemment.
De ces nouvelles visions naissent de nouvelles résolutions. On ne se laissera pas mourir mais s’il faut mourir que ce soit pour que demain nos enfants connaissent la liberté.
Le courage des femmes est contagieux.
Des marchands de fruits et légumes sauvent in extremis la vie d’un policier.
Des élèves sauvent la vie à leur professeur, à un curé français.
Des voisins protègent le vieux pied-noir du quartier : ‘’si tu disparaissais, nous aurions honte toute notre vie’’.
Des résidents d’une cité protègent leurs paraboles, cible privilégiée des islamistes.
Désormais les terroristes doivent faire attention non seulement aux forces de sécurité mais aussi aux citoyens qui n’hésitent plus à les dénoncer, à les signaler.
On surmonte peu à peu la peur.
On retrouve les gestes de la convivialité mais on a conscience du danger toujours présent.
On retrouve le sens de l’humour. On raconte les dernières blagues. Et dans ces blagues, il y a de plus en plus de sexualité, que les islamistes voudraient contrôler sinon museler.
Les caricaturistes s’éclatent chaque matin dans les journaux.
On prend ses responsabilités de citoyens face au terrorisme ou plus prosaïquement on prend en charge la défense de sa propre vie ou de son honneur.
On défend sa famille, ses proches ou sa dignité comme ces paysans des Aurès à qui on a exigé l’impôt sexuel.
Espaces ouverts de la rue, des villages et des villes.
La résistance a toujours la mort aux trousses…
Les images anonymes se mêlent aux apparitions et aux récits assumés.
Le film se terminera peut-être sur une plage, où chaque jeune homme et chaque jeune femme en maillot de bain est un défi aux islamistes.
L’unité du film proviendra de ce que l’expérience de la peur surmontée sera partagée par les témoins et le réalisateur.