Sur la forme…
(extrait du scénario présenté en France)
2005
Ma Pratique du Documentaire
Préméditer le plus possible est pour moi la condition de ce qui reste la spécificité documentaire, sa vérité, et sa justification : le jaillissement de l’inattendu, le brut…
Ce jaillissement est presque toujours la conséquence d’une rencontre.
Rencontre d’un personnage avec un autre personnage, avec un décor, ou avec la caméra…Avec ce qui advient, et donc d’abord avec le temps qui nous enferme dans un huis-clos dont seul le mot « Coupez » peut nous délivrer…
Le documentaire pour moi ne se différencie de la fiction ni pour l’action, ni pour la dramaturgie, ni pour les personnages, ni pour l’histoire, ni pour les autres composantes essentielles (montage, musique…), ni même pour la préparation qui pour moi consiste à connaître aussi profondément que possible mes personnages principaux (et si possibles aussi secondaires), et mes décors.
Pour autant, le type de cinéma documentaire que j’essaie de faire n’a rien à voir avec le « docu-fiction », pas plus qu’avec le « documentaire historique ».
Tragédie
Chacune des 4 histoires constitue une étape qui rapproche le spectateur du dénouement, de l’Echec, de la Séparation.
Le conflit principal dans ce film est entre ceux qui s’évertuent à approfondir le « fossé communautaire » et ceux qui tentent de s’y opposer : il est frappant que les 2 adversaires, colonialiste et nationaliste, pratiquent la même stratégie, celle précisément de l’élargir.
Le côté tragique du film vient de cette course contre la montre entre les simples gens des trois communautés qui essaient de le combler et leurs adversaires, moins nombreux mais dotés de plus de pouvoir.
Entre ceux qui essaient de construire des Ponts et ceux qui n’ont qu’un but : les faire sauter… Entre les forces de mélange et celles de l’entre-soi.
Il eut juste suffi d’un peu de temps encore pour inverser le rapport de forces négatif, mais comme dans Roméo et Juliette, la logique communautariste a raison des individus.
L’ histoire d’un personnage et non l’Histoire.
Si ce film est une sorte de voyage dans l’univers du nationalisme algérien où s’enracinent les Mythes fondateurs de l’Algérie contemporaine, il est avant tout un voyage dans le Vécu, non dans l’Idée…
Avec mes personnages principaux , mes alter égo, nous avons en commun de vouloir revenir sur l’histoire de nos pères. Sans animosité mais aussi sans œillère.
Cette interrogation entreprise en commun peut donc être considérée comme une tentative de d’affronter la tâche qui attend toujours les représentants de toutes les communautés du monde qui se sont fait la guerre, et notamment « les intellectuels » : revenir tôt ou tard, de façon critique, sur sa propre histoire, cesser de voir la paille seulement dans l’œil de l’autre…
Ce qui unit ce couple auteur-personnage principal, c’est une vision humaniste, pour laquelle le mal comme le bien, ne sont l’apanage d’aucune religion, aucune race en particulier.
L’Auteur étant un Algérien d’origine non arabo-berbéro-musulmane, ce couple sera pour le spectateur, la preuve que notre génération commence à sortir de la vision raciale ou/et religieuse des rapports entre les gens…
Mise en scène.
Elle est celle de la parole mais aussi du silence qui a pour nous la signification du poids de l’amnésie qui s’est constituée autant suite aux traumatismes de guerre, à la séparation des communautés, et à la culpabilité enfouie mais toujours là, prête à affleurer, qu’à la censure d’Etat.
Le déclenchement fictionnel du récit et son développement est dans cette quête vitale de mémoire et dans cette angoisse à l’épreuve du miroir : jusqu’où accepter de dire, de révéler, de se dévoiler…
Archives
Nous ne cherchons pas à rivaliser avec le « documentaire historique ».
Il s’agit ici d’aller dans le cœur et la tête des gens, non « d’authentifier » un récit.
Mis à part le prologue qui situe l’exode juif et européen dans le contexte historique d’une fin de colonisation, Il n’y a donc pas d’archives.
Représentations… et langage.
Si mes personnages sont en quête de vérité, ma préoccupation est plutôt de comprendre une époque, un univers, donc les mentalités et les visions du monde, donc le vocabulaire au travers duquel on se vivait et voyait l’Autre.
Tout le monde sait que l’on tue d’abord avec des mots.
Histoire & Etat
Chacun à sa manière sent qu’il temps de se réapproprier une Histoire squattée par l’Etat qui a eu jusqu’à présent le monopole de la Mémoire collective et par ricochet, individuelle…
Même les témoins qui ont commis d’horribles actes sont prêts à figurer et à raconter. Une manière de s’affirmer, en sortant du silence qui toujours et partout a le poids de la honte. Pour eux, ces actes étaient et sont toujours glorieux. Ils sont donc heureux de pouvoir dire enfin ce qu’ont toujours tu les média.