3 créateurs et l’exil – Déc 1999 à la Réunion

Semaine méditerranéenne

Aïcha Bouabaci, écrivain; Jean-Pierre Lledo, réalisateur, et Nicole Guiraud, plasticienne, expriment en commun, par la maîtrise d’arts différents, l’indispensable recherche identitaire, non pas seulement au travers de leur appartenance ethnique ou confessionnelle, mais surtout au travers de leur vécu sur une terre qu’ils aiment et qui a profondément marqué leur vie.

Tous trois sont nés en Algérie et, quelque part, se retrouvent en exil, exil physique pour les uns, exil moral et intellectuel pour les autres. Ils sont arrivés hier à Saint-Pierre et nous les avons rencontrés. Ils nous ont parlé de leur coeur d’attache, de cette Algérie, de leur passé qu’ils ne veulent surtout pas occulter mais intégrer à leur vie présente, de cette recherche aussi de la référence du sol, et non pas catégorielle eu égard à leur appartenance à un groupe d’hommes. Art-thérapie ou art-témoignage au-delà de la destination de l’oeuvre de chacun, il y a cette volonté de faire vivre une histoire qui, sans être autobiographique, est celle que tous trois ont vécu en commun: le chemin retrouvé pour ne pas tomber dans celui du chemin rejeté. C’est aujourd’hui que débute la Semaine méditerranéenne organisée par les services culturels de la mairie de Saint-Pierre et l’association l’Olivier, présidée par Eric Wagner, une association qui accueille tous ceux qui ressentent très fort la culture des confins de la mer Méditerranée, un des plus importants carrefours culturels de l’histoire de l’humanité. Outre la présentation d’une dizaine de films au centre Lucet Langenier de Ravine-Blanche, la présence de ces trois créateurs permettra à ce festival de s’inscrire dans une expérience de temps vécu au travers d’échanges intéressants et pourquoi pas générateurs d’une certaine émotion pouvant participer à la réconciliation intérieure, car nous sommes tous, et dans des îles au peuplement récents par excellence, sous l’emprise d’une certaine forme d’exil, qu’il soit vécu pour les uns ou hérité pour les autres. Les Européens d’Algérie, tout comme les « créoles » de la Réunion, ont vécu l’exil de leur terre d’origine. Les pieds-noirs, ont en plus vécu celui de leur terre d’adoption avec laquelle ils avaient commencé à vivre la gestation de leur devenir.* Aïcha Bouabaci parlera, ce soir, à partir de 18 heures, de l’itinéraire d’une femme algérienne, musulmane et francophone, mais surtout écrivain, c’est-à-dire créatrice, dans un pays, le sien, où l’expression des voix libres, surtout féminines, n’est pas une évidence. Elle a refusé longtemps de se faire publier à l’extérieur, ce qui aurait été pour elle une démarche vers l’exil. « Enfances dévoilées », son dernier livre (en préparation) est une double biographie, celle de Nicole Guiraud, présente à cette semaine méditerranéenne, qui a quitté l’Algérie en 1962, et la sienne, un écrivain algérien qui vit provisoirement à l’extérieur de son pays. « Enfances dévoilées », c’est aussi l’histoire de deux camps qui se battaient, celui de l’Algérien et celui de l’Européen d’Algérie. Aïcha Bouabaci rencontrera des élèves de lycées pour des moments de libre-échange. Jean-Pierre Lledo présentera, mardi et vendredi soir, trois de ses films: « Chroniques algériennes », « l’Oasis de la belle de mai », et « Lisette Vincent, une femme algérienne », trois documentaires tournés en France après son arrivée en 1993. Le premier est un moyen métrage qui montre la résistance au quotidien des habitants d’Algérie qui contrent l’intégrisme jusqu’à espérer le vaincre en ne se soumettant pas aux diktats des islamistes. Et le réalisateur de constater un processus, celui du désir de laïcité qui s’exprime de plus en plus: d’Annaba à Alger, on rencontre des gens qui disent « mais laissez-nous prier tranquillement, et que la religion ne soit plus le centre du débat politique ». « L’Oasis de la belle de Mai », tournée à Marseille en 96, est lui aussi un moyen métrage sur l’exil des intellectuels. Il parle notamment de la vie du peintre algérien Denis Martinez. Quant au troisième film, c’est un long métrage tourné l’an passé en vidéo numérique. C’est l’histoire simple d’une vieille institutrice, née en Algérie et contrainte de quitter son pays en 1972. Nicole Guiraud, par le biais d’un diaporamas, « La valise à la mer », présentera, mercredi à 18 heures 30, son oeuvre de plasticienne: dessins, sculptures, collages, assemblages, le tout par le support de bocaux qui sont disposés tous les dix ans sur des étagères et qui, en les tournant, peuvent se lire, en trois dimensions. A livre ouvert. Art-thérapie, son expression plastique est un besoin de recréer cet ordre symbolique qui lui permet de se situer sans effacer quoi que soit, mais au contraire, en archivant le tout, non pas dans le sens d’une rétrospective, mais au contraire d’un bilan, comme un archéologue le ferait en parcourant sa mémoire pour rattacher le temps présent.

https://www.clicanoo.re/Culture-Loisirs/Article/1999/07/11/Art-Trois-createurs-la-recherche-du-lien-au-dela-de-lexil_50729

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